Ce site est consacré à des descriptions de travail. Le travail avec lequel on gagne sa vie, ou une autre forme de travail, parce qu’on n’a pas forcément de travail rémunéré – on l’a perdu, on a choisi de ne pas en avoir, on fait autrement...

Les descriptions sont nées de deux façons: soit leurs auteurs ont entendu parler du projet et m’ont envoyé un texte, soit je me suis rendue moi-même auprès d’eux pour solliciter leur contribution.

Je laisse parler la personne aussi longtemps qu’elle le souhaite. J’essaie de me taire. J’enregistre. Je transcris ensuite ses propos. Je lui remets le texte écrit et nous en discutons jusqu’à trouver la forme sous laquelle il apparaît sur ce site.

Ma position n’est pas celle d’un sociologue ou d’un journaliste: je n’étudie pas, je ne cherche pas la chose intéressante, je ne synthétise pas – j’écoute et je transcris en restant au plus près des propos tenus.

Christine Lapostolle

J’écris depuis longtemps. Des livres qui se situent entre témoignage et fiction – des rêveries qui prolongent le spectacle de la vie. Le spectacle vu de l’intérieur, forcément. Le spectacle dans lequel nous sommes tous bon an, mal an, impliqués.

Dans l’école d’art où j’enseigne, je m’occupe du matériau langage, j’incite les autres à écrire, à faire attention aux mots... Les écoles d’art sont des lieux où l’on peut prendre le temps de la rencontre, des lieux où l’on ne se lasse pas de chercher comment transmettre, comment regarder, comment se parler, comment faire...

Ce site est un troisième pan de ce que je cherche avec l’écriture; ici l’expression de ceux qui participent et la mienne se rejoignent, je prête ma plume à des gens qui à travers leur parole mettent à disposition leur expérience.

Le blog que j’ai tenu sous forme d’almanach tout au long de l’année 2008 est consultable ici.

J’ai aussi travaillé en duo avec Karine Lebrun à l’élaboration du site 13 mots dont l’initiative et la forme lui reviennent.

Remerciements et contact

Je remercie tous les auteurs de descriptions ainsi que ceux qui ont contribué à la réalisation de ce site et ceux qui le fréquentent.

Le design de ce site a été réalisé par Gwenaël Fradin, Alice Jauneau et David Vallance en hiver 2018.

Si vous souhaitez, vous pouvez me contacter ici ou vous inscrire à la newsletter pour être averti de la sortie de nouvelles descriptions.

Tri par:
Date
Métier
Rebecca, directrice des ressources humaines 15.09.2022
On est ici dans une entreprise de logement social – chez un bailleur social qui fait partie des plus gros bailleurs sociaux en Île-de-France – …
Liza et Michel, kiosquiers 04.02.2022
On ouvre à 9h. Dans d'autres kiosques c'est 6h du matin, ça dépend des quartiers. C'est nous qui décidons des horaires. Il y a des kiosques où …
Pascal, doreur 28.08.2021
Un métier de doreur c’est assez varié. À l’origine c’était uniquement doreur sur livres: titrage, décor des reliures. Et puis on en est venu, au …
Pascale, marathonienne 12.07.2021
Je suis enseignante dans le primaire. Je fais de la formation auprès des enseignants. Je me déplace dans les écoles. Comme j’ai un peu …
Violaine, épicière, équicière 01.02.2021
C’est une épicerie familiale qui était tenue par Angèle jusqu’à ses 85 ans. Ses parents l’avaient tenue avant elle. Quand elle est décédée, ses …
Éric, garagiste 22.12.2020
Le garage a ouvert en mars 2018. J’ai réussi à me salarier en août. Les gens réparent eux-mêmes leur véhicule et je les accompagne. Ce n’est pas …
Éric, artiste 04.05.2020
Je suis artiste et enseignant. Enseignant dans une école d’architecture. Artiste plasticien. Mon temps de travail, si on ne parle que de …
Yoann, futur ex-directeur culturel 14.04.2020
J’ai commencé à travailler pour cette structure il y a 17 ans. J’étais assez jeune, j’avais 23 ans. J’avais collaboré auparavant avec un …
Philippe, rentier homme de ménage 10.02.2020
J’exerce une curieuse profession, dont je serais bien incapable de donner le nom. Elle a un côté chic, puisque je suis propriétaire de trois …
F., Masseur bien-être 22.10.2019
Le nom du métier c’est «masseur bien-être». Il s’agit de massages à visée non thérapeutique. Le terme de thérapeutique est réservé aux …
Zéti, au marché et aux fourneaux 02.03.2019
Je travaille en tant que commerçante. Petite revendeuse pour commencer. Dans le coin. Je vends des bijoux. Des perles significatives, parce que …
Line, libraire 06.01.2019
Être libraire, c’est avoir un dos solide pour transporter les colis, tous les matins, avoir un bon cutter pour les ouvrir, les ouvrir avec …
Thomas, marin pêcheur 04.04.2016
Mon parcours. Je suis juriste de formation. Je viens d’une famille de marins. Mon père, mes grands-parents, mes arrières-grands-parents, ça …
P.L., président d’université 02.09.2015
Comment on devient président d’une université? Dès que tu entres à l’université comme enseignant-chercheur, tu consacres une partie de ton temps …
Js, maçon par intermittence 14.12.2014
Je me pose beaucoup de questions sur le monde du travail , sur ce que j’y cherche, ce que j’y trouve, sur ce qui me donnerait un peu de joie. Ça …
D., directrice d’école d’art 03.06.2014
Je n’ai pas toujours été directrice d’école d’art. Il y a des directeurs qui ont été prof. Artistes, de moins en moins, il doit en rester un ou …
Barbara, scénariste 08.02.2014
J’écris des films et des séries pour la télévision . Au fond, j’entre dans la maison des gens pour leur raconter une histoire. Pour moi, dans …
P., médecin spécialisée VIH 11.11.2013
Le métier de médecin, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. Même si j’ai autrefois pensé à faire de l’ethnologie – c’était plus …
Julie, hôtesse de l’air 02.08.2013
Mon premier vol. C’était en décembre, il y a presque douze ans. Je travaillais pour la compagnie Star Airlines . Nous étions une centaine de …
Arthur, vie extérieure 17.06.2013
Je ne dirais pas travail. Pas occupation. Je dirais que je n’ai pas d’occupation. Mais beaucoup de... de préoccupations. C’est avant …
Michel, psychanalyste 21.02.2013
Préambule. Longtemps, j’ai eu quelques difficultés pour répondre à la sempiternelle question: – Vous êtes psychanalyste, quel métier …
Annie, chercheur(e) 16.09.2012
Chercheur(e) – Je n’arrive pas encore à habituer mon œil à ce (e). Bien que, dans mon métier et dans ma vie, je revendique ce qu’il signifie: …
Benoit, pianiste 26.05.2011
Ça va faire dix ans cet été. Je vivais au Havre. J’étais marié, j’avais deux enfants, ils avaient sept et dix ans et on a acheté une maison ici, …
Françoise, houspilleuse locale 17.02.2011
Depuis que je ne travaille plus au journal , évidemment mes journées sont moins structurées qu’auparavant. Apparemment. Ce qu’il y a de …
Jean, maire 21.11.2010
Au quotidien, dans une petite commune comme la nôtre,  on a la chance d’avoir  un secrétariat de mairie ouvert six jours sur …
Mathilde, institutrice 19.08.2010
Travailler avec des petits Depuis quelques années, je fais classe toujours au même niveau: à des CE1, qui ont 7 ans. C’est un âge que j’aime …
M et L, facteurs 20.03.2010
Devenir facteur J’ai donné la parole à deux facteurs de mon village qui ont souhaité participer ensemble à la conversation. M. est toujours en …
Jean-Yves, éleveur de chèvres 06.02.2010
Les chèvres , je vais les voir plusieurs fois par jour, je suis obligé. Parce que des fois elles se sauvent malgré la clôture. J’ai 22 chèvres …
Marylou, auxiliaire de vie 17.12.2009
C’est très  difficile à raconter . Je fais des gardes de nuit à domicile. Je dors chez les personnes. Ce sont des personnes qui ne peuvent …
Sylvie, chanteuse russe 24.08.2009
J’aimais beaucoup les  contes russes  quand j’étais petite, mais comme il n’y avait pas de russe à l’école, je n’ai pas eu l’occasion …
Marijka, cinéaste 14.05.2009
Mon travail consiste à imaginer des histoires et à les réaliser en images et en sons. Il y a plusieurs temps très différents dans ma vie …
Jean, professeur de philosophie 30.01.2009
J’enseigne dans un lycée, à Montpellier. J’ai 43 ans et 14 années d’enseignement. Travail Il s’agit de  donner des instruments de travail …
L’activité de kinésithérapeute 20.08.2008
Le centre est un établissement privé, de 80 lits dits «de suites et de rééducation». Il fonctionne avec un prix de journée assez bas par rapport …
Les tourments d’une lycéenne 07.07.2008
De la difficulté de s’orienter… des couloirs du lycée au couloir de la faculté. Paris, premier septembre 2006: C’est la rentrée des classes, …
Martine, muséographe 17.03.2008
Mon métier c’est  exposer . Une histoire, une collection, un morceau de territoire, un thème, même. Je m’occupe des contenus d’une …
Éric, potier 15.01.2008
(Nous habitons le même village, nous nous voyons presque tous les jours. Nous nous sommes servis d’un magnétophone…) C’est un travail qui …
Je travaille dans une chaîne de cafés 03.10.2007
Recherche de la définition d’une «non-situation» (pour qu’elle en devienne une) d’une étudiante en philosophie, étrangère, qui travaille dans …
Christine, prof d’histoire de l’Art 20.06.2007
Tentative de description de la situation de professeur d’histoire de l’art dans une école des Beaux-Arts J’enseigne dans une école des …
Un quotidien 13.03.2007
J’ai deux métiers!! Par chance(?), je travaille à la maison. Le matin, après avoir conduit mon époux au travail, j’allume mon ordinateur …
Virginie, graphiste 02.11.2006
Je suis  graphiste – je fais aussi de la direction artistique. J’ai 39 ans. Je vis à Paris. Je travaille depuis 1991, soit 15 ans.  …
Masquer l’extrait
Imprimer
Rebecca, directrice des ressources humaines15.09.2022

On est ici dans une entreprise de logement social – chez un bailleur social qui fait partie des plus gros bailleurs sociaux en Île-de-France – avec un patrimoine de 100 000 logements, soit près de 250 000 locataires.

On gère tous ces immeubles, on en construit de nouveaux.

Cette entreprise construit près de 4000 logements par an, c'est considérable. Mais le besoin de logements en Ile-de-France est colossal. Tous les bailleurs réunis satisfont à peu près 10% des demandes par an et le nombre de demandeurs ne cesse d'augmenter.

Je suis directrice des ressources humaines pour les 1500 salariés de l'entreprise. 400 d’entre eux travaillent ici, au siège. Les autres interviennent sur le terrain et dans nos directions départementales, sur les huit départements franciliens. J’anime une équipe de 30 personnes, réparties entre des métiers différents et complémentaires.

Le siège regroupe les directions «supports»: finances, informatique, ressources humaines, communication, etc.: toutes les fonctions qui servent notre activité sur le terrain.

On n‘est pas un service public. On est une entreprise privée investie d’une mission d’intérêt général à caractère social très encadrée par des lois, des décisions publiques. On rend des comptes à l’État, à notre actionnaire, à nos instances de contrôle.

J'ai la chance de travailler dans une entreprise où règne un bon état d'esprit. On ne fait pas de plan social, on ne procède pas à des licenciements en bloc, on ne maltraite pas les collaborateurs.

Dans un document de référence que nous avons réalisé pour poser les grands principes du management dans notre entreprise et que tous les salariés ont reçu, on insiste sur la notion - pour moi essentielle - des responsabilités partagées. Un collaborateur est sous la responsabilité d'un manageur, mais la réussite de la relation ne dépend pas que du manageur... Il y a de mauvais manageurs, c'est sûr. Mais il y aussi des collaborateurs qui se défaussent de leurs responsabilités. Rappeler les droits et les devoirs des deux côtés, c'est fondamental. Et pas toujours simple. Chez les représentants du personnel, certains considèrent que la faute est toujours du côté de l’employeur... Pour moi, c'est important de défendre une analyse nuancée des situations, je le fais avec conviction et impartialité.

C'est quoi les ressources humaines? On recrute, on embauche, on paye, on forme, on sanctionne quand on y est contraint. On est à l'écoute, on gère des sujets de souffrance au travail, des problèmes personnels qui rejaillissent sur le travail: santé, sécurité, qualité de vie. En RH, il y a aussi ce que l’on appelle le contrôle de la gestion sociale: le traitement et l’analyse des chiffres: les arrêts de travail, les effectifs, la masse salariale. La masse salariale pour 1500 salariés, c'est plusieurs dizaines de millions d’euros versés tous les ans.

Notre activité c’est de veiller au bon déroulement de la vie d'un salarié depuis son recrutement jusqu'à son départ, veiller à ce qu'il puisse se former, qu'il soit payé correctement, qu’il se sente bien au travail, ce qui suppose qu'on soit à son écoute.

Il y a aussi le volet collectif: le dialogue social. On négocie des accords d'entreprise, on organise des CSE (comités sociaux et économiques) – l'instance qui s'appelait auparavant comité d'entreprise. Le CSE propose des activités, des avantages, des événements, des voyages. Mais le cœur de son activité c'est le dialogue avec l'employeur. Les représentants du personnel sont associés à la conduite de l'entreprise. On leur expose ce qu’on envisage de faire, on les tient au courant de l’avancée des projets, on leur demande leur avis. Par exemple: on veut changer notre outil informatique, on en parle car cela a un impact sur le quotidien des collaborateurs; on veut modifier l’organisation d'une des directions, on explique les enjeux du projet. Tous les mois on se rencontre.

On a aussi les négociations d'accords, en fonction des obligations légales. Tous les ans on a un programme de négociations. On a négocié par exemple le télétravail. On a des obligations de négociation mais on peut aussi choisir un sujet qui nous importe pour le mettre sur la table. Négocier un bel accord, c'est quelque chose d'important et de gratifiant pour tous.

Ici le dialogue social est assez contrasté: la majorité des membres sont extrêmement coopératifs, très attachés à l'entreprise, ils ont envie d'avancer avec nous, nous font confiance – tout en étant parfois en désaccord. Et puis il y a une frange plus conflictuelle: la guerre contre l'employeur...

Notre conception de la gestion des ressources humaines est connectée aux individus, très humaine je crois. Je n'ai jamais eu à prendre des décisions que je jugeais iniques. Cela fait partie des clichés: le licenciement injuste, on pense à des films comme Ressources humaines... Qui disent une réalité. Mais ici on est dans un autre contexte. J’ai toujours travaillé dans des secteurs en prise avec l’intérêt général. Des environnements qui peuvent parfois être violents, mais où il y a une mission, un sens qui irrigue le quotidien. On a des enjeux de rentabilité, de performance, mais on n'est pas soumis comme une entreprise du secteur marchand à la variation des ventes. On est préservés de ce côté-là.

Notre chiffre d'affaires est largement connu en avance. L'immobilier s'inscrit dans le temps long, nos locataires dans la grande majorité payent leur loyer. Ça aide à ce qu'il n'y ait pas d'à-coups et de décisions trop difficiles à prendre. Quand une entreprise s'est beaucoup développée et doit brusquement réduire la voilure à cause de la concurrence... là il y a un travail de ressources humaines qui est rude. Ici au contraire on recrute énormément. Actuellement, on a 80 recrutements en cours et on dépassera les 350 recrutements cette année. L’entreprise est en fort développement, c’est gratifiant côté RH.

Je fais peu de choses en direct. Je ne prépare pas la paie, ni les contrats de travail, je ne prononce pas de sanctions sauf si la responsable n'est pas là. J’ai une équipe à mes côtés qui gère le contentieux. Pour le recrutement, j'ai une responsable d'équipe. Je peux me charger de certains recrutements mais c'est rare.

Je m’occupe beaucoup du dialogue social. Cela reste un sujet sensible. J’organise les réunions du CSE, je travaille sur les accords. Le climat social c'est très important. Là je suis en première ligne.

Mon travail au quotidien, c'est d'animer des équipes, de prendre en charge des sujets qui nécessitent un arbitrage. Je décide beaucoup. Je veille à ce que notre conception des ressources humaines soit bien appliquée. Je suis secondée par une très bonne juriste. J'ai de bonnes équipes, mais il y a parfois des sujets complexes, ou inattendus, sur lesquels il faut trancher – là elles me saisissent.


Je n'ai pas étudié les ressources humaines. J'ai fait une formation généraliste en sciences sociales, à Sciences Po. Ma première expérience professionnelle, c'était dans l’enseignement supérieur, c’était passionnant. Après j’ai rejoint le monde associatif: missions d'intérêt général. J'étais ce qu'on appelle secrétaire générale, un métier où l’on pilote plusieurs activités: la finance, les ressources humaines, les services généraux... On fait fonctionner la mécanique de l'entreprise, ce qu’on appelle les fonctions support. Comme j'ai beaucoup aimé les ressources humaines, les événements m'ont amenée à devenir DRH d'une entreprise assez importante. J’étais initialement DRH de la plus importante des six sociétés qui ont fusionné pour former celle-ci en 2018-2020. Je suis devenue DRH de l'ensemble après la fusion. La société dans laquelle je travaillais comptait 750 salariés, maintenant c'est le double.


Ici on est en flex office, personne n'a de bureau attitré. J'arrive le matin, en fonction de ce que j’ai à faire, des espaces disponibles, je prends une place dans tout cet espace. J'ai un casier, mon ordinateur portable, je m'installe. Dans les faits, je suis peu à mon poste, je suis beaucoup en réunions. Les journées ne se ressemblent pas. J'ai parfois une réunion tout de suite en arrivant, parfois une matinée libre, c'est rare... Je traite des mails, je fais des notes, je contribue à des textes, des décisions. Je suis aussi pas mal au téléphone. Mon assistante, je lui demande assez peu. Elle peut accomplir des petites missions pour moi, mais nous sommes assez autonomes, elle travaille principalement pour l'équipe.

J’ai des rendez-vous récurrents dans mon équipe et toutes sortes d’autres rendez-vous avec d'autres directions. Il y a les CSE, une journée par mois; les commissions: commission logement, commission formation, qui sont des obligations liées au dialogue social. J'ai d'autres réunions récurrentes comme le comité de direction: les directeurs se retrouvent une fois par mois. Je suis aussi membre du Comex qui est un petit groupe resserré de directeurs en charge de piloter la stratégie de l’entreprise aux côtés du directeur général.

Là par exemple nous avons dû faire face à une actualité difficile. On a été confronté à un grave incendie dans un de nos immeubles. Heureusement, et c’est l’essentiel, il n'y a pas eu de victimes. Les équipes de terrain concernées sont en train de gérer le relogement des personnes: trois appartements dévastés. Est-ce que la structure de l'immeuble n'a pas été atteinte? Les personnes peuvent-elles revenir dans leur appartement? ça c'est le quotidien des équipes de terrain. Moi ce qui me concerne c’est que le feu est parti du logement de fonction du gardien... On va avoir un sujet RH autour de cette situation.

Notre patrimoine compte plus de 600 immeubles et forcément, à cette échelle, il y a parfois des incendies. Parfois anodins, parfois bien plus graves. Ici il n'y a pas eu de victimes, c'est quasiment un miracle compte tenu de l’ampleur de la propagation.

Je connais à peu près la moitié des salariés de l’entreprise. J’essaie de ne pas être dans ma tour d'ivoire. Je cherche toujours à faire connaissance. On est dans une entreprise où nous, les directeurs, restons très accessibles, j'y tiens beaucoup.

On a des difficultés à recruter, comme partout en ce moment. On essaie de trouver des solutions. On a réalisé des vidéos pour faire découvrir nos métiers, donner envie. On a demandé à des collaborateurs en poste s'ils étaient d'accord pour se prêter au jeu... L'équipe com, avec un prestataire, a réalisé cinq vidéos très réussies sur différents métiers de l’entreprise: comptable, gestionnaire de copro, etc. J'ai croisé l’un des jeunes salariés qui ont bien voulu se faire filmer, je l’ai félicité, je crois qu’il était content de ce retour. Je ne me rends pas compte que j'ai cette image d'autorité. Dans l'imaginaire collectif on craint la DRH parce qu'elle est susceptible de sanctionner. Je peux le faire quand je considère que c'est nécessaire mais ce n'est pas mon activité favorite! Il faut être équitable dans l'entreprise. Si un salarié ne fait pas son travail, cela se reporte forcément sur ses collègues... Si on ne sanctionne pas ce genre de dérive elle s'installe. Je suis à l'aise avec la sanction quand elle est nécessaire mais c'est loin de résumer mon métier.

Je vois mon patron toutes les deux ou trois semaines. On partage des informations. Je lui soumets des problèmes, je lui propose des solutions, comme les personnes de mon équipe le font avec moi. Parfois je ne peux pas décider seule. Ou bien j'ai un sujet qui m'est venu en direct et il faut que je tranche avec lui.

Depuis trois ans je suis en télétravail le vendredi. Cela me permet de me concentrer sur certains dossiers – ici je suis pas mal dérangée. Ou de travailler avec mes équipes sur un document partagé en ligne. Pour les réunions plus collectives je préfère être présente. Mais j'aime beaucoup le jour de télétravail, je suis efficace sur plein de choses, je n'ai pas les trajets. Car j'ai deux heures de trajet par jour.

À certaines périodes, je travaille le soir. Je suis très prise, la journée je n'arrive pas à tout traiter. Le soir je relis des documents, finis des notes. Par exemple, le procès-verbal du CSE. Il est assez long et je préfère le relire au calme. Ou un mail un peu difficile, je le prépare au brouillon le soir et l'envoie le matin. Ça me laisse la latitude de partir à une heure raisonnable. J'arrive à 9h. Je pars vers 18h30. Quand on est directeur dans une entreprise on travaille beaucoup. Moi j’ai des horaires de bureau raisonnables mais je travaille souvent à la maison. J'ai des collègues qui sont là au moins 8h1/2 par jour. Ils n'ont pas d'enfants en bas âge. Je ne veux pas être tout le temps au bureau. Si j'ai une urgence je préfère travailler à la maison, au moins je vois ma famille.

Je fais face. La période difficile c'était celle de la fusion. On a changé d'échelle, on a tout réorganisé. Il fallait s'adapter. Cela a été une période très intéressante mais extrêmement stressante. Je travaillais jusqu'à 1h du matin tous les soirs. Je rentrais à la maison, je m'occupais des petits, et je m'y remettais... Très tard, devant l'écran. Ça c'était difficile. Maintenant ça va!

J'aime mon travail. Je suis très à l'aise avec la prise de décision. Je ne dis pas que je n'ai pas des doutes parfois. Mais je suis au clair sur ce qui guide mes décisions. J'adore manager. Mon équipe est constituée de personnes de confiance, compétentes. On échange librement. Je décide et il me semble qu'elles apprécient ma rapidité de décision. C'est fluide. On avance. Je suis complètement alignée avec la stratégie, le sens de l'entreprise qui m’emploie.

Bien sûr, on est confronté à des situations difficiles: des conflits entre un responsable et son collaborateur, des accusations de harcèlement. Là on est obligé de mener une enquête. Dans les sujets que j'évoquais avec ma collaboratrice aujourd'hui il y avait le point d'avancement d'une enquête sur une situation où le collaborateur accuse son manageur d'être harcelant moralement. On entend les deux parties, le N + 2, les collègues. On fait des entretiens très approfondis, un compte-rendu qu'on fait valider par chacune des personnes entendues. Puis viennent les conclusions de l'enquête. On forme notre intime conviction. Sur la base de ce qu'on a recueilli, sur les faits concrets qu'on a pu démontrer ou pas. Les choses se règlent en interne. Jusqu'à présent on a réussi à traiter ce type de sujet.

Certaines enquêtes se sont soldées par des licenciements. J'ai été confrontée à un cas très compliqué. Le collaborateur avait accusé son directeur de harcèlement. Il n'y avait rien. Cette personne était extrêmement malsaine avec son entourage et elle accusait sa N+1 qui n'en pouvait plus, qui avait dû se faire arrêter par son médecin, tant elle était affectée. Le problème est que son collaborateur avait mis les représentants du personnel de son côté, il n'y avait plus de discernement. On a eu des échanges très vifs; certains m'ont accusée d'être partiale. On a tenu, on a prouvé que la personne avait mal agi. C’était très éprouvant, une guerre des nerfs. Dans le dialogue social, il y a des gens qui sont constructifs, même s'ils peuvent être critiques, et d'autres qui ne le sont pas. Quand ces personnes-là se saisissent des affaires compliquées, ça envenime et ça complexifie considérablement le traitement des difficultés. Je tiens le cap, je ne cède pas mais c'est dur. Heureusement ce n'est pas fréquent.

En ressources humaines, le droit social, le code du travail, est central. Je ne suis pas une spécialiste. Ma collaboratrice est juriste en droit social, moi j'ai fait du droit mais je suis moins aiguisée qu'elle. Ce n'est pas ce qu’on me demande. J'ai aussi un avocat à mes côtés pour les affaires très complexes et qui nécessitent un double regard. On peut avoir en droit social des preuves de fraude avérée qu'on découvre par des biais tout à fait détournés. On convoque le collaborateur. Il y a un côté enquête, je ne dis pas que ça me réjouit mais il faut faire respecter la règle, montrer que tout n'est pas possible…

Mon métier, c'est aussi beaucoup de pédagogie. Nous on est sur un domaine assez technique mais notre activité est présente en filigrane dans le quotidien de tous nos collaborateurs: contrat de travail, paye.... Faire comprendre que les choses se font dans un cadre, qu'on est garant du respect du droit du travail. Et trouver quand les circonstances le nécessitent une solution individualisée. On peut assumer de sortir un peu du cadre, si c'est nécessaire. Il y a la prise en compte de l'intérêt de l'entreprise et aussi celle de l'individu. C'est la question de l'équité versus l'égalité. Je travaille à faire respecter ce principe d'équité. Assumer des exceptions dans certaines circonstances et pour de bonnes raisons, ça m'intéresse, ça m'anime. A travers tous ces cas concrets, on crée la politique RH de notre entreprise. J'essaie de l'incarner aussi dans les décisions que je prends.

Il y a toujours des sujets nouveaux, insolites, c'est stimulant, il n’y a pas de routine !

DRH c'est un nom relativement récent. Critiqué. Certains défendent l'idée que l'humain n'est pas une ressource. Avant on parlait de gestion du personnel: Responsable du personnel. Comme je considère au contraire que le personnel est la richesse de l'entreprise, le terme DRH ne me gêne pas. Il dit plus que «gestion du personnel». On y met aussi la formation, le développement des compétences des collaborateurs, l' accompagnement, l'écoute individualisée quand il y a des difficultés. On a des situations individuelles qui peuvent être terribles. C'est aussi cela la gestion des ressources humaines. Une attention à chaque personne qui travaille dans l’entreprise.

J'ai eu par exemple à accompagner une salariée qui avait été absente cinq mois, qui vivait une situation très difficile dans son quotidien personnel mais aussi professionnel – c'est souvent le télescopage des deux qui fait que les gens craquent. Elle est revenue à la faveur du changement du directeur dont elle dépendait. Le directeur en question voulait partir, on a considéré que c'était une bonne chose et on l'a remplacé par quelqu'un de l'équipe, quelqu'un de très bien, dans le cadre de ce que l’on appelle la promotion interne. Quand la personne est revenue sous la responsabilité de ce nouveau patron elle était rassérénée, on a fait une visio et elle m'a dit: «j'ai été tellement touchée que vous me proposiez de faire ce point», elle m'a dit que ma collaboratrice qui pilote cette activité avait été exceptionnelle, l'avait énormément aidée. Pour moi c'est le plus beau cadeau. Ce sont des retours très gratifiants pour nous aux RH.

Ici les bureaux sont hyper modernes, on a de beaux locaux, bien équipés, de bonne facture. Ça peut trancher avec le cliché du logement social. Notre direction générale défend de bonnes conditions de travail pour les collaborateurs. Logement social ne veut pas dire misérabilisme.

Sur la question du flex office, je suis mitigée: c'est censé permettre plus de fluidité, plus de partage d’informations. Ce n’est pas forcément le cas. Le fait de partager ainsi de grands espaces peut aussi nuire à la concentration de chacun. Le flex office donne l’illusion que tout le monde serait au même niveau, du directeur général à l’employé: j'arrive le matin, je m’installe n'importe où, je n'ai pas un beau bureau avec une table de réunion... Mais c'est compliqué dans le déroulement de la journée. Moi par exemple je me retrouve quasiment tout le temps dans un box. Parce que j'ai un entretien confidentiel, une visio, un appel compliqué, un sujet sensible à traiter. Je dois m'isoler. Je ne vais pas déranger les autres, ça dérange quand on appelle. Enfin sans doute que j'entends plus de choses, je vois comment untel réagit sur un sujet. Ce n'est pas inutile. Ce qui compte c’est que chacun travaille dans un climat de confiance, d'efficacité collective. Les locaux contribuent au climat mais ne font pas tout. Pour moi ce qui transforme les relations dans une entreprise c'est l’attitude des manageurs et des décideurs, quand ils partagent des valeurs, qu’ils savent tenir un discours de vérité, être justes, courageux quand il faut annoncer des choses difficiles. J'y crois, j'essaie de le faire à mon niveau, flex office ou pas...



Réagir à la description Remonter en haut de page