Être libraire, c’est avoir un dos solide pour transporter les colis, tous les matins, avoir un bon cutter pour les ouvrir, les ouvrir avec art. Parce que le colis est renvoyé ensuite avec les livres qu’on retourne quand on considère qu’on ne va plus les vendre.
Donc c’est très concret: ouvrir les colis le matin – tous les matins il y a des colis. Il y a à la fois ce qu’on appelle le réassort: c’est dire que le Balzac qu’on a vendu il faut qu’on l’ait à nouveau deux jours après dans le fonds. Il faut qu’on ait les Classiques dans le stock et tous les livres qu’on considère comme indispensables. C’est ce qu’on appelle le réassort.
Et en même temps, et surtout, il y a les commandes de clients.
Il faut enregistrer. C’est tout simple. Enfin tout simple, non, il faut bien connaître le logiciel, l’ouvrir, ne pas se tromper, mais, bon, le logiciel est efficace dans ce domaine un peu abscons.
Et il faut rentrer tous les livres. Donc il faut scanner avec l’appareil, scanner les codes ISBN des livres, donner la quantité, vérifier qu’on a eu la bonne remise des fournisseurs. Puisque, comme le prix du livre est fixe, le libraire se fait sa marge sur la remise que lui consent l’éditeur et/ou le distributeur. Ce sont des choses qu’on négocie. En fonction de la quantité de livres qu’on achète à l’éditeur ou au fournisseur, en fonction de plein de choses.
C’est une comptabilité terrible aussi. Il faut avoir un comptable sinon c’est trop compliqué. Mais tout doit être bien préparé. Donc on enregistre tous les livres.
Et ensuite, on avertit les clients, on envoie des messages... c’est quelque chose d’assez prenant le matin. Mais c’est aussi réjouissant. On ouvre, on dit, mais je n’ai jamais commandé cela! Parce qu’on oublie, évidemment, tout ce qu’on a commandé. On découvre de superbes choses. On se dit, qu’est-ce que c’est que ce bouquin? Ah oui, c’est pour untel... On ouvre, et là...
Moi par exemple je lis systématiquement tous les livres jeunesse que je reçois. Heureusement ça va vite! Pour en parler, pour savoir si la langue est belle – pour les enfants c’est important. J’aime beaucoup la mythologie. Donc je présente pas mal d’albums qui traitent de mythologie. Je pense que les enfants doivent connaître les mythes grecs pour comprendre le monde. Si vous ne connaissez pas la Guerre de Troie, vous ne comprenez rien aux guerres d’aujourd’hui. Oui, j’ai quelques petits axes comme ça. Et ça marche. Les grands albums sur la mythologie attirent les gens. Pour les enfants, c’est un moyen de rentrer dans le monde des grands.
Entre temps on a les clients qui arrivent. On est interrompu, on discute, on échange, c’est génial. Parce que d’emblée, c’est un métier où sans se connaître on parle littérature. Un métier où on pose des questions complètement indiscrètes aux clients. C’est pire que chez le médecin: «– je veux faire un cadeau à quelqu’un. - Bon, qui est ce quelqu’un? Que lit-il? Quel âge a-t-il?» Et les gens, je ne sais pas pourquoi, les gens vous confient tout plein de choses. Sans doute parce que les livres qui sont là inspirent confiance. C’est assez beau, parfois même émouvant. Il y a plein de choses qu’on entend, ou qu’on n’entend pas, qu’on garde pour soi.
La troisième partie des arrivages ce sont mes choix. Mes choix sont souvent guidés par les clients, qui me font découvrir des livres merveilleux, guidés aussi par la presse, la radio... et par ce que je sais, ce que je comprends de la clientèle. Je sais par exemple que tel livre va plaire à telle personne. Je peux me tromper, mais de moins en moins.
Donc, pas chaque jour, mais, disons, deux fois par semaine, il y a un moment où il faut réfléchir en se disant, qu’est-ce que j’achète?, comment j’enrichis mon stock? Et pourquoi et à qui je le destine? Ce qui est agréable, en écoutant la radio ou en lisant le journal, c’est de se dire «ce livre-là c’est pour lui, c’est pour elle». Je connais mes clients.
Combien de personnes? Je ne me suis jamais posé la question. Je ne sais pas. Il y a les clients de passage, qui prennent des choses, ou qui ne trouvent pas ce qu’ils cherchent. Il y a souvent, cela c’est vrai dans n’importe quelle librairie, des gens qui entrent et qui prennent autre chose que ce pour quoi ils sont venus – ils le disent.
Mettre sous les yeux des gens des textes qui vont les intriguer, qui vont les intéresser. Ce qui est bien c’est quand on se dit: ce livre-là, elle va me l’acheter, et qu’il ou elle l’achète! C’est une grande proximité. Ce sont des histoires de quartier, de voisinage, je n’imaginais pas tout ça. Ce sont essentiellement les gens du quartier qui viennent à la librairie.
Ce quartier c’est le hasard. Je déambulais dans Paris pour trouver un emplacement. Parce qu’une librairie, une des conditions de sa réussite, c’est l’emplacement. Il faut que ce soit visible, il faut qu’il n’y ait pas de librairie autour. Dans Paris c’est un peu compliqué. Je déambulais et j’ai trouvé par hasard ce lieu que mon prédécesseur, qui était déjà libraire mais de livres anciens, quittait. Donc je l’ai pris vraiment par hasard.
Il y a des quartiers qui sont saturés, par exemple le 11e ou le 19e il y a déjà tant de librairies que ce ne serait pas possible. Si j’étais dans un autre quartier, je ne vendrais pas les mêmes livres, pas du tout les mêmes livres.
Ici c’est la périphérie du Quartier latin, et c’est un coin nécessaire pour une librairie. Parce que les autres sont fort loin. Enfin fort loin peut-être pas mais quand même. Parfois, je n’ai pas tel livre, et j’indique la librairie où on peut le trouver qui se situe à moins d’un km d’ici. Il y a des clients qui me répondent: oh non, non, c’est trop loin.
C’est une petite librairie mais qui contient quand même 5000 titres!
Je l’aime bien parce qu’elle est un peu cosy. Et je pense que les gens ont besoin de lieux petits, de lieux plus petits. Les gros supermarchés, je crois que c’est un système qui commence à dépérir. Chez moi tout est à portée de l’œil, de la main. Et puis je suis là. J’ai hésité, je voulais mettre des coups de cœur, des petites étiquettes comme font souvent les libraires mais au fond je suis là, je peux parler, je préfère parler.
De temps en temps quand je craque je me fais remplacer. J’ai un ami qui a été libraire, qui est éditeur maintenant et qui me remplace parfois. Parce que c’est quand même un peu prenant! J’y suis du matin au soir. Mais bon, le matin ce n’est pas trop rude: c’est 10h30/19h.
Un libraire ça lit beaucoup. C’est un métier où on reçoit beaucoup de services de presse. Il y a des éditeurs qui ont repéré... par exemple chez Verdier, ils ont repéré que je vendais leurs livres donc ils m’envoient systématiquement les services de presse. Je lis à peu près deux livres par semaine... Mais pas en ce moment, là en ce moment, je suis incapable de lire, il y a des moments de saturation, de fatigue. Dans les transports en commun je n’arrive plus à lire. Deux livres par semaine ce n’est pas énorme. Mais je les lis bien, je les lis en entier. On sait, quand on est lecteur, au bout de vingt pages, ou même avant, on se dit: ce n’est pas pour moi alors on jette le livre: ce n’est pas pour ma librairie. Les livres que je lis, je ne les lis pas en diagonale, je les lis jusqu’au bout.
Maintenant je lis en fonction des clients. Avant je passais ma vie à lire. Pas les mêmes choses. Avant, comme j’étais prof, je ne lisais quasiment que pour mes élèves. Toujours «pour»! Enfin pour moi aussi!
Aujourd’hui je suis en train de relire La Divine Comédie: c’est quand même pour moi, ça! C’est un vrai polar d’ailleurs. Je lis la traduction de Jacqueline Risset. Parce qu’elle est bilingue. Et même si je ne parle pas italien, c’est très beau d’avoir les deux langues.
Avant je lisais des classiques. Et là depuis que je suis libraire, je découvre la littérature contemporaine. Que je ne connaissais pas, pas beaucoup. Quelques trucs qui sortaient évidemment. Mais là, Krasznahorkai par exemple, je suis tombée par terre! Moi je suis dans la découverte, un continent entier s’est ouvert devant moi.
Je trouve des bijoux, des bijoux. Des livres merveilleux. Même matériellement. Avant le livre pour moi c’était le Poche... Et là le livre devient un objet qu’il faut montrer, qu’il faut considérer, le graphisme, le papier, c’est très important. Ceux qui font du beau travail, ce sont les petits éditeurs. Qui soignent les couvertures, leur mise en page. Vous avez l’éditeur «Cent pages», le graphiste est génial. Souvent je vends les livres de chez «Cent pages» à cause de la couverture.
Manier les livres, les ouvrir, regarder, il faut savoir prendre le temps.
Mettre des choses en évidence.
Les livres qui sortent, dont on parle, j’en ai un peu mais pas beaucoup. Enfin si quand même j’en ai. Parce qu’il faut vivre aussi, il faut bien vendre, parfois des conneries. Mais pas trop si possible! Parce qu’Amélie Nothomb, pour moi vendre ses livres, c’est presque impossible. Si un client le commande, d’accord. Mais personne ne me l’a demandé! C’est drôle, n’est-ce pas? La clientèle s’ajuste à ce qu’on propose. Et inversement. C’est-à-dire qu’il y a une sorte d’interaction souterraine en fait.
Si on comparait la librairie maintenant à celle du début, on verrait quelque chose de différent. On verrait des choix plus affirmés, peut-être même plus exigeants, du reste. Plus exigeants. Enfin j’ai quand même des livres attendus. Mais j’ai peu de livres que je vends à contrecœur. En même temps, je crois qu’il ne faut pas porter trop de jugement. Si quelqu’un me demande du Bussi, moi je vends du Bussi. Tout peut se lire: le mode d’emploi de la machine à laver... il faut être modeste dans ce métier. Pas arrogant.
Depuis deux ans, ça a changé. Notamment en littérature étrangère. Pour le fonds classique, je suis attentive aux nouvelles traductions. Il y a un vent de nouvelles traductions en ce moment. Et ça m’intéresse. J’étais prof de lettres, donc la langue depuis toujours m’intéresse. Je veux être attentive aux traducteurs, parce que je trouve qu’on les méprise, enfin qu’on les méprise, de moins en moins, le terme est trop fort, mais on les ignore souvent. Alors que ce sont des lecteurs essentiels, et ce sont des auteurs, les traducteurs. J’ai reçu deux traducteurs déjà.
Et puis aussi, en sciences humaines, il y a des choses qui commencent à me plaire vraiment, comme Nathalie Quintane, le travail de Mona Chollet autour des Sorcières... Maintenant je présente un rayon sciences humaines qui intéresse. Au début en philo j’avais demandé à un copain prof de philo de me faire mon rayon. En jeunesse, j’avais demandé aux enfants de mes copines de me faire leur liste...
À la librairie j’organise beaucoup de rencontres. Dans une librairie de quartier c’est très apprécié. Parce que cela crée des liens. On fait un club de lecture aussi, une fois par mois avec un thème. C’est assez amusant. C’est toujours à peu près les mêmes gens, ça s’est stabilisé autour de six, sept personnes et je vais proposer de faire un bulletin de ce club. Pour le distribuer à ceux qui sont intéressés.
Les rencontres, c’est un peu le hasard. Il y a des éditeurs qui me proposent de rencontrer leurs auteurs. Ou un auteur qui vient, qui dit, j’ai fait ceci, cela... Parfois c’est moi qui écris en disant j’aimerais bien recevoir tel auteur. C’est le hasard. Il y a aussi des gens qui m’ont proposé des choses vraiment nulles, alors là je dis non. Poliment.
J’ai invité deux traducteurs jusqu’à présent... Joëlle Dufeuilly, la traductrice de Krasznahorkai et Corinna Gepner, que j’ai rencontrée à la Société des Gens de Lettres, je lui ai demandé de venir… C’est une grande traductrice de la langue allemande. On n’était pas nombreux... les rencontres pour les traducteurs n’attirent pas les foules! Pour la traductrice de Krasznahorkai il y avait du monde. Toute la communauté hongroise s’est pointée! C’est une façon de faire connaître la librairie! Et les gens reviennent. Alors qu’ils ne sont pas du quartier. Parfois.
C’est un métier où il faut toujours inventer des formes. En ce moment on expose des aquarelles. Avant il y a eu des objets faits par un céramiste. Les gens regardent. Posent des questions.
L’ennui? Non! L’ennui, l’ennui, au début oui je m’ennuyais parce que je n’avais pas de clients, donc je me disais, mince, personne ne veut entrer. On commence par ne pas avoir de client! Parce que tout le quartier pense que c’est toujours la même librairie de livres anciens. Je n’ai pas changé grand-chose. Je n’ai pas changé le nom, je n’ai pas changé la couleur de façade. Donc les gens ont mis un certain temps à s’apercevoir. Je faisais des vitrines. Je changeais les livres...
Au début, on se dit, wouah personne ne vient, tout le monde s’en fout, je ne suis pas dans le bon quartier... Pourtant je sais bien qu’il y a des lecteurs évidemment, ici. On dépose des flyers, j’ai fait les boîtes à lettres du boulevard et des rues environnantes. Ça fait venir des gens. J’ai même fait le marché.
Mes premiers clients ont été mes anciens collègues et mes amis. Et après il y a le bouche-à-oreille, les gens qui s’arrêtent et qui disent «oh, une librairie!» Et puis on achète des cartes postales qu’on met dehors pour signaler. Et les cartes postales c’est une attraction terrible. Terrible. Vous savez que ça s’achète énormément. La carte postale virtuelle ne fonctionne pas. Les gens achètent des cartes postales, ça les fait entrer dans la librairie, et tout d’un coup ils s’aperçoivent qu’il y a les livres...
Les petits livres d’occasion que je mets devant aussi font entrer les gens. Il y en a des stratégies...
Je suis arrivée à la retraite et je ne voulais pas arrêter de travailler, je voulais rester dans les livres. Je me suis dit, on va essayer la librairie. J’ai beaucoup aimé être prof, mais deux trois ans avant la retraite j’ai eu cette idée de la librairie. Donc j’ai fait des stages, je me suis formée...
J’ai fait des stages pour la comptabilité, la gestion. Libraire c’est transporter des colis et puis faire de la gestion. Il faut décider par exemple à un certain moment de retourner les invendus. Il faut savoir quand. Ça c’est l’expérience. Un livre qui ne se vend pas et qu’on aime, on se dit, je vais quand même lui donner sa chance. Souvent vous renvoyez un livre et le lendemain il y a un client qui vous le demande...
Pour les livres que j’aime, certains auteurs, je les ai dans mon fonds. La rotation du fonds est lente. C’est sur les nouveautés que ça tourne plus vite. Par exemple, ce qu’on apprend dans les stages c’est qu’il faut commander les livres en début de mois parce que vous les payez 60 jours fin de mois: vous commandez des livres le 1er décembre et vous payez fin janvier. On les achète. Avec la remise. Différente selon les éditeurs et les distributeurs. Il faut savoir prévoir. Vous gagnez 60 jours en commandant en début de mois. Le but c’est de vendre les livres avant de les payer. Et pour les retours il faut faire l’inverse; pour retourner les livres, il faut les mettre en fin de mois. Parce que c’est deux mois aussi. Les retours, c’est un avoir sur les commandes à venir...
Les librairies c’est un drôle de milieu. J’en fréquente une qui est vraiment géniale. Mais les autres, non. On se regarde plutôt en chiens de faïence, les libraires sont tout le temps en train de pleurer, de dire que ça ne fonctionne pas... À mon avis ça ne fonctionne pas plus mal que le reste. Le livre continue de se vendre. Je ne sais pas à combien... mais la plupart des libraires sont tout le temps en train de faire la gueule. Un type, pas très loin, m’a dit «ah là là, vous allez m’ôter des clients. Parce que vous savez bien que le lecteur ne se multiplie pas.» Je ne sais pas pourquoi les lecteurs ne se multiplieraient pas? Certains parlent vraiment comme des commerçants. C’est vrai que ce n’est pas facile; moi je ne me tire pas de salaire. Pour l’instant je ne perds pas d’argent. C’était le but en fait. Peut-être pas en gagner mais ne pas en perdre. C’est vrai que c’est quand même un commerce un peu spécial, un peu délicat.
Il y a un système de subvention mais qui est assez opaque. Il y a des subventions, mais les conditions sont parfois drastiques. On subventionne surtout les grandes librairies: il faut avoir 50m2 ou davantage, tant de livres dans le fonds...
Moi depuis six mois je demande une subvention. Là on m’en a refusé une il y a quelques jours de la Région, je ne sais pas pourquoi. Je n’ai pas compris. Je vais continuer à demander. Ça a son importance...
Au mois de mai, il y a les réunions de présentation des livres. Pour des libraires comme moi ce n’est pas tellement amusant. C’est très mondain. Il y a madame de telle librairie qui se fait remarquer en posant des questions. C’est bien, parce qu’on voit les auteurs, on voit les éditeurs, ils nous présentent leurs livres... Mais nous, les petits libraires nous sommes le tiers état! On ne vous traite pas de la même façon si vous êtes librairie du premier niveau ou du second niveau. Premier niveau ce sont les grandes librairies. C’est une affaire de taille, et donc d’achat. Pas de qualité. Par exemple, on a découvert qu’un fournisseur livrait les livres à j+1, j+2 à la Fnac, et pour les petits libraires comme nous, c’est j+4, j+5.
Avec certains éditeurs il y a une connivence, une vraie complicité...Mais avec les distributeurs, non: c’est l’argent. Chez certains éditeurs, on sent une vraie volonté de faire découvrir des textes... mais c’est compliqué, je ne maîtrise pas tout, je suis novice!
Être prof, être libraire, oui cela a quelque chose à voir: il faut aider, accompagner, il faut tenir, tenir les lecteurs. J’ai une clientèle très intello. Globalement. Il y a des âges qui n’achètent pas de livres ici. Disons les 15/25 ans, de 15 à 30, ils ne viennent pas en librairie. Je pense que quand on était jeune c’était l’inverse. Peut-être qu’ils achètent sur Amazon, ou à la FNAC... Il y a encore pas mal de gens qui ne savent pas que le livre est à prix unique. Qui pensent que c’est plus cher dans une petite librairie...
J’ai des clients, je sens qu’ils ne sont pas à l’aise dans la librairie alors s’ils s’intéressent aux livres d’occasion, je leur en donne, ça rapproche...
Il y a tout de même quelques petits lycéens, étudiants qui entrent parfois, mais c’est surtout une clientèle de profs, beaucoup de médecins. Il y a quelques exceptions, des gens plus marginaux, parfois mal à l’aise, c’est ceux-là qu’il faut accueillir, pour qu’ils reviennent, qu’ils se trouvent bien.
Il y a des gens qui viennent, ils savent que je n’aurai pas le livre, ils viennent pour le plaisir de commander.
Il y a des gens qui viennent pour parler. J’ai un fauteuil. J’estime que ça fait partie du métier. Parce que quand même cette solitude, ces problèmes...
Et ce jeune homme qui m’a dit un jour: «les Misérables que vous m’avez conseillé, c’est merveilleux... c’est génial». Il a 25 ans le gars. Moi ça me touche. Il me dit, j’ai eu des parents qui ne lisaient pas, il n’y avait pas de livres chez moi, donc maintenant, je veux connaître tous les classiques; on s’assoit et on discute. Il habite dans l’immeuble. Il est passionné. C’est quelqu’un qui lit d’une manière incroyable, incroyable: Dostoïevski, Tolstoï, il a lu tout Tolstoï, il me dit «Faulkner, vous pensez qu’il faut que je lise?» Il a lu Faulkner. Maintenant il est dans Balzac, il est pris!