Je suis graphiste – je fais aussi de la direction artistique. J’ai 39 ans. Je vis à Paris. Je travaille depuis 1991, soit 15 ans.
Mon travail consiste à harmoniser textes et images, blanc, espace, et créer un confort de lecture, donner envie de lire, ou de prendre en main un objet.
Les supports sont très variés.
Cela peut aller d’un livre d’art, à un dépliant pour un musée, ou encore une affiche, une pochette de disque, un logotype décliné sur toute sorte de supports, sac, étiquette, ou encore un catalogue de mode, un magazine, une simple carte de visite ou un ouvrage complexe tel qu’un guide de musée national. Il faut imaginer, mettre en scène la typographie, les couleurs, des niveaux de lecture.
Choisir le ou les papiers, le format, le conditionnement.
Donner une forme à celui-ci. Et suivre la qualité d’impression.
Parfois faire intervenir un illustrateur ou un photographe, styliste:
Concevoir un objet dans sa globalité.
On collabore avec des rédacteurs, journalistes, et correcteurs.
J’ai toujours voulu dessiner.
J’ai dévié des études d’architecture aux études de graphisme, me sentant plus en lien avec ce qui est éphémère et rapide, avec les couleurs et les lettres, la typographie.
J’avais commencé par un stage dans la presse au sein du magazine Jardin des modes.
Puis j’ai été salariée dans une agence de com, au tout début de mon expérience, là où j’ai pu apprendre les bases. Avec un SMIC.
Ensuite je me suis mise tout de suite en freelance, inscrite à la maison des artistes, et j’ai démarché avec un dossier en main.
Là j’ai travaillé à la fois sur des petits projets de logotype, de papeterie pour des particuliers puis dans une agence de graphisme culturel, très chouette.
Je gagnais à l’époque déjà un peu plus que le SMIC environ 1400 euros mais je payais mes charges dessus.
J’ai toujours aimé démarcher, créer des contacts. Le réseau s’est tissé facilement.
Lorsque j’ai quitté cet endroit je suis rentrée dans un magazine féminin, et je n’ai plus arrêté d’aller d’agences de graphisme, en bureaux de style, et magazines.
Mes revenus ont augmenté petit à petit quand je suis devenue assistante à la direction artistique puis directrice artistique dans la presse. Environ 3000/3500 euros à l’époque.
Un jour j’ai décidé d’arrêter de donner ma création pour un prix dérisoire comparé à ce qu’elle était vendue par les agences pour lesquelles je travaillais, et qui ajoutaient leur nom dessus, n’hésitant pas à déformer ou transformer allègrement la création de base.
Ce qui est intéressant c’est d’être maître jusqu’au bout de sa création, de négocier avec le client, de travailler main dans la main avec lui pour arriver à un projet qui correspond à ces envies, et porte tout cela vers le haut.
J’ai pris un petit atelier dans un quartier sud de paris, et j’ai demandé à une amie avec laquelle je travaillais bien, de s’associer avec moi.
Voilà 7 ans que nous travaillons ensemble.
Maintenant nous avons quitté l’atelier et nous travaillons chacune chez nous. Nous sommes à 10 min de vélo et Internet participe à cette souplesse de travail que nous revendiquons largement.
Nous ne sommes pas en société. Nous avons notre statut libéral. Nous nous répartissons les gains.
Les clients aussi divers soient-ils, s’y sont très bien faits, même de grosses institutions (comme un conseil régional, ou une grosse entreprise internationale).
Nous faisons la création ensemble, puis nous nous répartissons les tâches, pour la réalisation.
Nous sommes aujourd’hui rodées sur notre façon de travailler, et donc plus rapides.
Certains projets sont plus passionnants, et d’autres plus laborieux. C’est souvent une histoire de rapports humains.
Nous avons laissé le milieu de la mode et même de la presse, de côté depuis quelques temps et sommes plus attirées par le livre et le culturel en général.
Parfois un petit projet institutionnel qui ne paraît pas passionnant peut le devenir par notre seule volonté, curiosité et aussi grâce au client lui-même. Son ouverture d’esprit joue un vrai rôle.
Les institutions peuvent payer avec des délais de 6 mois/un an de retard si le projet a mis du temps à se faire. C’est important d’avoir une trésorerie.
L’édition en général paie mal. Et ça ne va pas du tout dans le bon sens: des monstres de l’édition (par exemple Hachette Livre) n’hésitent pas à baisser les prix de tous les prestataires, alors que le coût de la vie augmente – une vraie raison de s’alarmer et aussi de se révolter.
Nous nous battons pour nous faire respecter. Le domaine institutionnel ou presse d’entreprise est beaucoup plus rémunérateur.
Un exemple: une création et réalisation d’un livre d’art nous donnera en honoraires 5000 euros (160 pages environ) (à partager en deux et avec nos charges à payer) – parfois pour un travail étalé sur plusieurs mois.
Par ailleurs un appel d’offre pour un rapport annuel d’une grosse société Média TV, paiera la création de 10 doubles pages 3000 à 6000 euros selon que le projet est accepté ou refusé. Ce sera au plus une semaine complète de travail.
Il faut savoir que nous avons à peu près 40% de nos revenus qui partent dans les charges.
Aujourd’hui je sais que je tiens à garder cette précieuse liberté que je paie cher.
Je sais aussi que je veux continuer à faire des livres car c’est un moyen de travailler sur des projets au long court et souvent intéressants.
Ceux-ci me permettent d’envisager, qu’un jour proche, je pourrais prendre un ordinateur portable et aller travailler en toute saison une semaine par-ci par-là dans ma petite maison de bois Bretonne – mon rêve!
Internet permet de nous relier au monde. Et nous ouvre encore plus de porte vers l’échange et la liberté si nous arrivons à «gérer» ce grand tourbillon.
Je reste persuadé néanmoins que les rapports humains sont essentiels, et Internet nous en éloigne.
La communication au sens où on l’emploie aujourd’hui est aussi un moyen de se couper des autres. C’est assez contradictoire… mais bien réel.