Ce site est consacré à des descriptions de travail. Le travail avec lequel on gagne sa vie, ou une autre forme de travail, parce qu’on n’a pas forcément de travail rémunéré – on l’a perdu, on a choisi de ne pas en avoir, on fait autrement...

Les descriptions sont nées de deux façons: soit leurs auteurs ont entendu parler du projet et m’ont envoyé un texte, soit je me suis rendue moi-même auprès d’eux pour solliciter leur contribution.

Je laisse parler la personne aussi longtemps qu’elle le souhaite. J’essaie de me taire. J’enregistre. Je transcris ensuite ses propos. Je lui remets le texte écrit et nous en discutons jusqu’à trouver la forme sous laquelle il apparaît sur ce site.

Ma position n’est pas celle d’un sociologue ou d’un journaliste: je n’étudie pas, je ne cherche pas la chose intéressante, je ne synthétise pas – j’écoute et je transcris en restant au plus près des propos tenus.

Christine Lapostolle

J’écris depuis longtemps. Des livres qui se situent entre témoignage et fiction – des rêveries qui prolongent le spectacle de la vie. Le spectacle vu de l’intérieur, forcément. Le spectacle dans lequel nous sommes tous bon an, mal an, impliqués.

Dans l’école d’art où j’enseigne, je m’occupe du matériau langage, j’incite les autres à écrire, à faire attention aux mots... Les écoles d’art sont des lieux où l’on peut prendre le temps de la rencontre, des lieux où l’on ne se lasse pas de chercher comment transmettre, comment regarder, comment se parler, comment faire...

Ce site est un troisième pan de ce que je cherche avec l’écriture; ici l’expression de ceux qui participent et la mienne se rejoignent, je prête ma plume à des gens qui à travers leur parole mettent à disposition leur expérience.

Le blog que j’ai tenu sous forme d’almanach tout au long de l’année 2008 est consultable ici.

J’ai aussi travaillé en duo avec Karine Lebrun à l’élaboration du site 13 mots dont l’initiative et la forme lui reviennent.

Remerciements et contact

Je remercie tous les auteurs de descriptions ainsi que ceux qui ont contribué à la réalisation de ce site et ceux qui le fréquentent.

Le design de ce site a été réalisé par Gwenaël Fradin, Alice Jauneau et David Vallance en hiver 2018.

Si vous souhaitez, vous pouvez me contacter ici ou vous inscrire à la newsletter pour être averti de la sortie de nouvelles descriptions.

Tri par:
Date
Métier
Rebecca, directrice des ressources humaines 15.09.2022
On est ici dans une entreprise de logement social – chez un bailleur social qui fait partie des plus gros bailleurs sociaux en Île-de-France – …
Liza et Michel, kiosquiers 04.02.2022
On ouvre à 9h. Dans d'autres kiosques c'est 6h du matin, ça dépend des quartiers. C'est nous qui décidons des horaires. Il y a des kiosques où …
Pascal, doreur 28.08.2021
Un métier de doreur c’est assez varié. À l’origine c’était uniquement doreur sur livres: titrage, décor des reliures. Et puis on en est venu, au …
Pascale, marathonienne 12.07.2021
Je suis enseignante dans le primaire. Je fais de la formation auprès des enseignants. Je me déplace dans les écoles. Comme j’ai un peu …
Violaine, épicière, équicière 01.02.2021
C’est une épicerie familiale qui était tenue par Angèle jusqu’à ses 85 ans. Ses parents l’avaient tenue avant elle. Quand elle est décédée, ses …
Éric, garagiste 22.12.2020
Le garage a ouvert en mars 2018. J’ai réussi à me salarier en août. Les gens réparent eux-mêmes leur véhicule et je les accompagne. Ce n’est pas …
Éric, artiste 04.05.2020
Je suis artiste et enseignant. Enseignant dans une école d’architecture. Artiste plasticien. Mon temps de travail, si on ne parle que de …
Yoann, futur ex-directeur culturel 14.04.2020
J’ai commencé à travailler pour cette structure il y a 17 ans. J’étais assez jeune, j’avais 23 ans. J’avais collaboré auparavant avec un …
Philippe, rentier homme de ménage 10.02.2020
J’exerce une curieuse profession, dont je serais bien incapable de donner le nom. Elle a un côté chic, puisque je suis propriétaire de trois …
F., Masseur bien-être 22.10.2019
Le nom du métier c’est «masseur bien-être». Il s’agit de massages à visée non thérapeutique. Le terme de thérapeutique est réservé aux …
Zéti, au marché et aux fourneaux 02.03.2019
Je travaille en tant que commerçante. Petite revendeuse pour commencer. Dans le coin. Je vends des bijoux. Des perles significatives, parce que …
Line, libraire 06.01.2019
Être libraire, c’est avoir un dos solide pour transporter les colis, tous les matins, avoir un bon cutter pour les ouvrir, les ouvrir avec …
Thomas, marin pêcheur 04.04.2016
Mon parcours. Je suis juriste de formation. Je viens d’une famille de marins. Mon père, mes grands-parents, mes arrières-grands-parents, ça …
P.L., président d’université 02.09.2015
Comment on devient président d’une université? Dès que tu entres à l’université comme enseignant-chercheur, tu consacres une partie de ton temps …
Js, maçon par intermittence 14.12.2014
Je me pose beaucoup de questions sur le monde du travail , sur ce que j’y cherche, ce que j’y trouve, sur ce qui me donnerait un peu de joie. Ça …
D., directrice d’école d’art 03.06.2014
Je n’ai pas toujours été directrice d’école d’art. Il y a des directeurs qui ont été prof. Artistes, de moins en moins, il doit en rester un ou …
Barbara, scénariste 08.02.2014
J’écris des films et des séries pour la télévision . Au fond, j’entre dans la maison des gens pour leur raconter une histoire. Pour moi, dans …
P., médecin spécialisée VIH 11.11.2013
Le métier de médecin, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. Même si j’ai autrefois pensé à faire de l’ethnologie – c’était plus …
Julie, hôtesse de l’air 02.08.2013
Mon premier vol. C’était en décembre, il y a presque douze ans. Je travaillais pour la compagnie Star Airlines . Nous étions une centaine de …
Arthur, vie extérieure 17.06.2013
Je ne dirais pas travail. Pas occupation. Je dirais que je n’ai pas d’occupation. Mais beaucoup de... de préoccupations. C’est avant …
Michel, psychanalyste 21.02.2013
Préambule. Longtemps, j’ai eu quelques difficultés pour répondre à la sempiternelle question: – Vous êtes psychanalyste, quel métier …
Annie, chercheur(e) 16.09.2012
Chercheur(e) – Je n’arrive pas encore à habituer mon œil à ce (e). Bien que, dans mon métier et dans ma vie, je revendique ce qu’il signifie: …
Benoit, pianiste 26.05.2011
Ça va faire dix ans cet été. Je vivais au Havre. J’étais marié, j’avais deux enfants, ils avaient sept et dix ans et on a acheté une maison ici, …
Françoise, houspilleuse locale 17.02.2011
Depuis que je ne travaille plus au journal , évidemment mes journées sont moins structurées qu’auparavant. Apparemment. Ce qu’il y a de …
Jean, maire 21.11.2010
Au quotidien, dans une petite commune comme la nôtre,  on a la chance d’avoir  un secrétariat de mairie ouvert six jours sur …
Mathilde, institutrice 19.08.2010
Travailler avec des petits Depuis quelques années, je fais classe toujours au même niveau: à des CE1, qui ont 7 ans. C’est un âge que j’aime …
M et L, facteurs 20.03.2010
Devenir facteur J’ai donné la parole à deux facteurs de mon village qui ont souhaité participer ensemble à la conversation. M. est toujours en …
Jean-Yves, éleveur de chèvres 06.02.2010
Les chèvres , je vais les voir plusieurs fois par jour, je suis obligé. Parce que des fois elles se sauvent malgré la clôture. J’ai 22 chèvres …
Marylou, auxiliaire de vie 17.12.2009
C’est très  difficile à raconter . Je fais des gardes de nuit à domicile. Je dors chez les personnes. Ce sont des personnes qui ne peuvent …
Sylvie, chanteuse russe 24.08.2009
J’aimais beaucoup les  contes russes  quand j’étais petite, mais comme il n’y avait pas de russe à l’école, je n’ai pas eu l’occasion …
Marijka, cinéaste 14.05.2009
Mon travail consiste à imaginer des histoires et à les réaliser en images et en sons. Il y a plusieurs temps très différents dans ma vie …
Jean, professeur de philosophie 30.01.2009
J’enseigne dans un lycée, à Montpellier. J’ai 43 ans et 14 années d’enseignement. Travail Il s’agit de  donner des instruments de travail …
L’activité de kinésithérapeute 20.08.2008
Le centre est un établissement privé, de 80 lits dits «de suites et de rééducation». Il fonctionne avec un prix de journée assez bas par rapport …
Les tourments d’une lycéenne 07.07.2008
De la difficulté de s’orienter… des couloirs du lycée au couloir de la faculté. Paris, premier septembre 2006: C’est la rentrée des classes, …
Martine, muséographe 17.03.2008
Mon métier c’est  exposer . Une histoire, une collection, un morceau de territoire, un thème, même. Je m’occupe des contenus d’une …
Éric, potier 15.01.2008
(Nous habitons le même village, nous nous voyons presque tous les jours. Nous nous sommes servis d’un magnétophone…) C’est un travail qui …
Je travaille dans une chaîne de cafés 03.10.2007
Recherche de la définition d’une «non-situation» (pour qu’elle en devienne une) d’une étudiante en philosophie, étrangère, qui travaille dans …
Christine, prof d’histoire de l’Art 20.06.2007
Tentative de description de la situation de professeur d’histoire de l’art dans une école des Beaux-Arts J’enseigne dans une école des …
Un quotidien 13.03.2007
J’ai deux métiers!! Par chance(?), je travaille à la maison. Le matin, après avoir conduit mon époux au travail, j’allume mon ordinateur …
Virginie, graphiste 02.11.2006
Je suis  graphiste – je fais aussi de la direction artistique. J’ai 39 ans. Je vis à Paris. Je travaille depuis 1991, soit 15 ans.  …
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Pascal, doreur28.08.2021

Un métier de doreur c’est assez varié. À l’origine c’était uniquement doreur sur livres: titrage, décor des reliures. Et puis on en est venu, au fil des années, à faire du marquage sur tout ce qui peut être marqué à chaud: maroquinerie, brosses à habits, chausse-pieds... tout ce qui pouvait être personnalisé, soit au nom d’une société, soit pour un grand hôtel, ou pour un cadeau plus personnel.

J’ai repris la suite de mon père en 1988. Cela a été une longue succession de doreurs ici. Comme vous le voyez, le matériel est assez ancien. Moi au départ je faisais de la biologie. Je suis venu à la dorure parce que mon père ne trouvait pas de successeur. C’était dommage d’avoir un atelier comme celui-ci et de ne pas en profiter. Mon père m’a formé. Ensuite j’ai élargi le champ des possibilités: il ne faisait que de la dorure à la main, moi j’ai fait aussi de la dorure à la presse, de la dorure en machine: quand il y a cent ou trois cents exemplaires identiques, vous ne les faites pas à la main...

je surveille la température parce que j’ai des passeports à faire. Pour le cinéma. Dans les films, quand vous voyez des gens qui présentent des papiers, ce sont des faux la plupart du temps: je fais des faux passeports. Là ce sont des passeports irakiens.

Sur les livres j’utilise de la feuille d’or. Je mets de l’apprêt. À base d’albumine, c’est à dire de blanc d’œuf. Selon la matière ce sera des apprêts différents. Ensuite je pose la feuille d’or. Je peux aussi faire de la couleur, je fais toutes sortes de marquages. Sur la maroquinerie, je ne peux pas apprêter: si vous voulez votre prénom sur votre portefeuille ou votre sac à main, je ne vais pas apprêter toute une surface, ce serait laid, ce ne serait pas adapté. Dans ce cas je travaille au film or. Il y a déjà un apprêt qui est posé dessus.

Je pose la feuille d’or, ensuite je compose mon titre. Le livre va être titré avec mon composteur qui est préalablement chauffé. Puis je mettrai un fleuron s’il y en a besoin, selon le même principe: on chauffe. Le principe est simple, après c’est surtout du doigté. La température détermine la qualité de votre dorure, c’est primordial. Le contrôle se fait à l’oreille. Le fer est chauffé, selon la matière qu’on va dorer ‑ si c’est de la toile, ou un cuir comme celui-ci, ou un peu différent, comme celui-là, les températures ne seront pas les mêmes.

La température on la régule avec une éponge. Là je ne sais pas à quelle température je suis. Je vais tester avec l’éponge. Lorsque ça crisse on est au-dessus de 100° et lorsqu’on arrive à ce son, que vous entendez-là, on est aux alentours de 90°. En fonction du support, on va refroidir encore un peu plus, ou pas. Pour avoir la température qui convient.

C’est au client de déterminer le type de caractère. S’il n’a pas d’idée, je propose.

Pour la composition, cela va dépendre de la largeur du livre, de l’espace qu’on a pour écrire. Si on a Chateaubriand sur un livre de cette largeur-ci, c’est évident que le mot ne pourra pas être à la même taille que si on écrivait Hugo. Pour Hugo les lettres vont être un peu plus grosses et espacées. Chateaubriand va être un peu plus petit, je serai obligé de serrer les lettres.  

J’ai des caractères un peu partout: tous les tiroirs autour de vous ce sont des caractères différents. J’ai une vue d’ensemble. Comme le menuisier: vous lui demandez tel type de moulure, il sait qu’il a les fraises qui correspondent, qu’il peut faire telle chose et pas telle autre... Là c’est pareil selon le type de matière. Ça par exemple, c’est du papier plastifié, une matière synthétique. Et sur ces pièces de titre ce n’est pas très facile parce que cela ne se travaille pas aussi bien que le cuir...

Le travail se fait à main levée. Sur un livre, le mieux c’est de ne pas se tromper. Si on a mal espacé les caractères, il va falloir effacer et reprendre. Le plus proprement possible. Sur ces matières qui ne sont pas du cuir, on ne peut pas retoucher.

Toutes ces roulettes, c’est pour faire des décors. Pour tout ce qui est à plat, lorsque vous avez par exemple les galons d’un dessus de bureau, on va utiliser une roulette. On a un motif qui se déroule. Là c’est une petite perle, très fine. Là il y a des filets, cinq, six filets... Toutes les roulettes ont des formes qui permettent des résultats différents.

Vous venez avec votre livre et vous dites, je voudrais un décor complet, ou au contraire vous me demandez d’écrire simplement «carnet» et je vous écris «carnet». On peut aussi demander des choses un peu compliquées. Là je tempère en disant, «hum, ça va être trop chargé», ou, «ça va vous coûter trop cher.» Si la personne me dit «le prix m’est égal» ou, «j’aime bien que ce soit chargé», ou «je veux un décor XVIIIème», je vais l’orienter avec mes catalogues sur un décor XVIIIème. Plus le client a une idée précise, plus cela me facilite la tâche. Je connais mon matériel et je vais essayer que le résultat soit conforme à ce qu’il espère.

Le livre ne m’appartient pas, cela ne me regarde pas, ce n’est pas à moi parce que j’aime les fleurons XVIIIème, de mettre des fleurons XVIIIème... Le client, il faut que ça ressemble aux autres livres de sa bibliothèque, à ce qu’il aime, pas à ce que j’aime moi. Souvent ce sont des décors qui renvoient au passé. Le passé c’est la référence perpétuelle, c’est l’éducation qu’on a eue…

Il y a beaucoup de relieurs qui ont l’impression de faire de l’art. Mais ils sont artisans. Je suis artisan. Je fais ce que le client souhaite. Pour ce livre-ci par exemple, la personne qui a fait la reliure m’a dit, il faudrait que tu lui fasses… un pêcheur à la mouche, quelque chose comme ça. Alors je vais dessiner, juste pour fixer un petit peu ce que je veux faire. Le relieur me dit, oui c’est pas mal. Mais en fait son client avait une autre idée qu’au bout d’un certain temps j’ai réussi à lui faire préciser: il souhaitait avoir le nom de l’auteur, le titre, et une petite éphémère, à peu près ici ‑ un poisson qui gobe une mouche ou une éphémère. Donc pas du tout ce que je pensais au départ. Bon, très bien. Après c’est à moi d’exécuter.

La maîtrise du dessin, ce n’est pas le plus important. On ne dessine pas en fait; on utilise des outils. Des outils j’en ai de toutes sortes, de tous modèles. Pour faire ce poisson, ça va être, une courbe comme ça pour la tête, mais la courbe, elle varie, le poisson il faut le décomposer. Là je vais avoir un morceau de courbe à peu près régulière, ensuite une sorte de plat ou de méplat, ensuite de nouveau une courbe qui va être plus ou moins régulière. J’utilise des segments de droite. Ma courbe va être faite de segments différents. Il faut que je trouve les éléments qui vont vraiment s’adapter à la courbure, c’est beaucoup de choses à maîtriser. Ensuite pour la dorure proprement dite, si vous commencez à faire glisser vous arrachez votre or. Il faut appuyer uniquement à bonne température. Ce n’est pas le tout de dessiner quelque chose. Vous pouvez être un grand dessinateur. Si après vous n’avez pas le matériel adapté, si vous ne savez pas le transposer avec les outils… Et il y a des choses qu’on peut difficilement faire: quelqu’un veut un escargot… un escargot c’est très difficile à faire. Parce que sans arrêt on va avoir des changements de courbe. Je vais suggérer au client autre chose. Parce que si j’y passe trois heures, je ne pourrai peut-être pas lui compter les trois heures. Et il faut que le résultat soit bien, le mieux possible, sans que cela coûte une fortune au client.

On peut tout faire. Je dis, on ne peut pas reproduire tous les dessins: mais si. On peut faire graver, on aura quelque chose qui sera reproduit à l’identique. Si le client veut une petite signature là, il l’aura... Mais il faut payer le prix de la gravure… Là je vais faire graver une couronne de laurier pour une marque de stylo encre; ils veulent faire des marque-pages. Au départ ils m’ont demandé si j’avais une couronne comme celle-ci. J’avais quelque chose d’un peu similaire mais pas de la bonne taille. Quand on a un fleuron, s’il n’est pas de la bonne taille, on ne peut pas le changer. On peut faire graver un fer comme le fer que j’ai là-bas. Il ne servira qu’une fois. Après le client le garde. Il l’a payé, c’est à lui.

 Là je suis en train de faire un cadre qui va me servir pour les tirages des passeports. Vous avez un bâti qui est chaud. Je vais venir coller ce fer qui a été réalisé par rapport au document qu’ils m’ont donné. A partir de là il ne faut pas que ça bouge, c’est tout.

Oui je travaille en musique. J’écoute la radio. Cela permet d’avoir aussi un peu d’information. Si le monde s’écroule, je serai au courant.

Dans n’importe quel atelier d’artisan, pour pouvoir durer, il faut savoir se plier aux caprices des gens. S’adapter. Je me souviens d’une fois où une grande maison de maroquinerie avait reçu la demande d’un de ses clients de faire marquer tous ses bagages. C’était un joli cuir fauve et dans le même cuir il a fait faire les sièges de sa Ferrari. Sur chacun de ses bagages il fallait reproduire un motif bien particulier qu’on trouve sur les Ferrari, F355 quelque chose comme ça ‑ des caractères penchés. On a repris le sigle de la Ferrari pour personnaliser tous ses bagages.

Des demandes comme ça, des gens qui ont de l’argent, il y en a plus que vous ne le pensez. Ce sont souvent des demandes qui viennent de l’étranger. Quand vous avez vraiment une fortune vous n’allez pas pinailler pour 10 000 euros. Vous avez envie de quelque chose… Je me souviens aussi d’un client, il allait un soir dîner chez un ami qui venait d’offrir à sa femme une Ferrari (décidément les Ferrari!). Et on lui a décoré des gants. Le client a offert à la femme des gants en cuir avec des palmes un peu comme celle-ci, avec ses initiales, pour qu’elle puisse conduire sa Ferrari…

Pour des défilés de mode, vous allez avoir par exemple des sacs à main. Avant de passer à l’échelle réelle, on commence par des petits motifs, des essais. Puis eux créent un modèle et il faut que je le reproduise vraiment. Les couleurs varient. Au lieu d’avoir de l’or vous avez du vert, du rouge… ce sont des pigments de couleur. Comme ceci, des films de couleur.

Alors oui, ça me projette dans toutes sortes d’univers, les univers des maisons de luxe.

On est quatre doreurs sur cuir aujourd’hui en France. En France et dans le monde…

Je me déplace beaucoup. Pas ces derniers temps évidemment. Le dernier voyage que j’ai fait c’était en Chine. J’ai été en Chine pendant un mois, en janvier 2020. Pour des marques de maroquinerie. En 2019, c’était Japon, Corée du sud. Regardez mon calendrier: Vietnam, Philippines, Thaïlande, Portugal, Dubaï, Russie, Arabie saoudite, Hawaï, le Mexique après. Et puis en janvier 2020, je suis parti le 7 et je suis rentré le 28, j’étais dans les derniers avions avant que tout ne s'arrête.

Dans ces pays je suis dans les magasins. Je travaille pour des marques. Pour l’ouverture d’une nouvelle boutique, le lancement d’une nouvelle gamme. Les clients savent qu’un artisan parisien va se déplacer tout spécialement. Ils viennent pour que je leur mette un prénom, un petit fleuron... ils regardent comment je travaille.

J’ai une caisse qui m’accompagne partout. Cette caisse-là: quatre tiroirs, une valise de matériel que j’emporte partout. Ce n’est pas lors de ces voyage-là qu’on peut vraiment visiter un pays. Si je reste une semaine à Hawaï je n’ai pas le temps de voir grand’chose ... Mais c’est amusant, c’est très amusant. Je fais beaucoup de photos.

J’ai des interprètes. Au Japon, par exemple, quasiment personne ne parle anglais.

Tout le monde peut me faire travailler. Je reste un artisan. Je ne fais pas de l’art. J’ai toujours tenu à ce que les prix restent raisonnables.

Un petit ouvrage comme ça, Victor Hugo, Les Misérables, c’est forfaitaire. Il faut savoir que la tva n’est pas la même selon le type de livre. Pour un livre juridique c’est 20%, si c’est Victor Hugo, ce sera 5,5%; un livre pornographique ce sera 33% . Enfin si un client m’apporte un tel livre, moi j’ai tout intérêt à lui faire à 5,5%, on s’arrange, ça n’arrive pas très souvent!

Lorsque j’ai commencé, on travaillait essentiellement pour les grandes bibliothèques. On ne faisait quasiment que ce qu’on appelle la dorure ordinaire. Pour la Bibliothèque nationale, l’Assemblée nationale, le Sénat, l’Elysée, la Sorbonne: toutes les grandes bibliothèques. C’était un peu plus monotone, mais quand mon père ouvrait le rideau le matin il savait que l’atelier allait être plein jusqu’au soir, que la seule chose à faire c’était de bosser, il fallait faire du rendement. À l’époque on avait deux employés, c’était de l’artisanat plus ordinaire.

Et puis le marché a changé. La Bibliothèque nationale a arrêté de faire relier en France. C’est invraisemblable mais c’est comme ça, elle fait relier à l’étranger. Tous ces artisans relieurs qui travaillaient pour les bibliothèques, tout d’un coup ils sont devenus trop chers! En quelques années le travail s’est tari. Il y a toute une flopée de relieurs qui ont pris leur retraite, qui sont morts. Et il n’y a pas eu de relève. La plupart des relieurs aujourd’hui sont des relieurs amateurs. Ils réalisent et ils demandent des choses qui en fait sont souvent beaucoup plus originales, plus soignées que tous ces bouquins de la BN qu’on faisait toute l’année à la chaîne. Je me suis adapté, il a bien fallu. Je n’ai pas eu le choix.

 Je n’ai jamais fait de publicité, je voyais le nombre de relieurs professionnels qui diminuait, le travail qui diminuait et parallèlement un nombre d’amateurs de plus en plus important venait me voir, me demandait des choses de plus en plus particulières, des décors très personnels.

En même temps j’ai acheté cette machine, et j’ai commencé à faire du marquage à la machine. On ne va pas faire 500 000 pièces mais ça permet de faire quand même une tâche répétitive: 300 carnets par exemple, et de faire des marquages importants. Ceci, à la main, je ne peux pas le faire: mes plus gros fleurons ne vont pas jusqu’à cette taille. Donc je me suis adapté parce qu’on me demandait, «vous ne pourriez pas me faire des agendas avec marqué EDF 2020», des choses comme ça.

Lorsque j’ai commencé en mars 88, je crois qu’il y avait une vingtaine de doreurs sur toute la France. Ça a vite diminué. Certains ont émis l’idée de se regrouper. Je ne sais plus qui avait pris l’initiative … On a fait deux réunions. Après ça a été fini. On ne cherche pas de mal aux autres mais on est chacun chez soi, on a chacun nos clients.

Former des gens? pour quoi faire? Honnêtement, pour quoi faire? Si mon fils avait dit, «tiens, papa je veux reprendre», oui, je l’aurais formé. Sans savoir si c’était réellement un cadeau.

Oui, bien sûr c’est un métier qui peut disparaître. Vous savez, je travaille pour différentes marques et elles vous laissent tomber du jour au lendemain. Je travaillais pour une marque depuis 1990. Une maison qui vivotait à cette époque-là. Puis il y a eu un nouveau pdg qui a tiré la marque vers le haut. Et il y a eu un désaccord sans doute, il est parti, ils l’ont viré, je n’en sais rien. En tout cas cela a été la mise à mort de la marque. Elle a été rachetée par des Italiens. Je travaillais beaucoup pour eux, ils m’envoyaient un peu partout dans le monde. J’avais mon carnet plein de dates : Dubaï, Moscou… ou ça pouvait être moins exotique : Opéra, Champs Elysées, Galeries Lafayette. Un coup de fil et on m’a dit: la direction a décidé de faire autre chose. Et pof: terminé. On annule tout.

Puis le covid. 2020 devait être une année exceptionnelle. Là vous avez vu en 2019, les voyages. Ce devait être encore pire en 2020! Ça commençait très fort. Et puis quand je suis revenu de Chine, le confinement, toutes les entreprises, dans les minutes qui ont suivi l’annonce, ont tout décommandé: tout s’est écroulé. En une seule seconde. Il faut bien se rendre compte que même si on travaille pour le président de la République ou pour je ne sais qui, ça ne veut pas dire qu’on travaillera tout le temps pour eux. On fait du mieux qu’on peut pour qu’ils nous gardent dans leurs petits cartons, c’est tout. Ils n’ont aucun compte à rendre. Travailler un jour pour une marque, ce n’est pas la peine pas s’en glorifier, de se dire, je suis irremplaçable...

Un savoir-faire, oui très bien, mais ça ne se garde que s’il y a une demande. Il y a cent ans il y avait un sabotier par village. Qui sait encore faire des sabots aujourd’hui? J’avais quelqu’un qui voulait reprendre mon fonds, je devais le former. Quelqu’un de vraiment bien. Justement parce qu’il était très bien, qu’il avait les pieds sur terre, il a dit stop, je ne m’engage pas. Ce n’est pas moi qui vais dire qu’il a eu tort.

Il y a encore quelques doreurs en Italie. En Espagne il n’y en a plus. Une marque de maroquinerie pour laquelle je personnalisais les sacs, a déplacé sa production de la France à l’Espagne. Tout est produit, mis en carton et expédié directement d’Espagne. Ça ne passera plus par Paris, alors, sauf exception, on ne fera plus de dorure. Ils m’ont demandé vous ne connaissez pas quelqu’un en Espagne? Ils ont cherché, ils n’ont pas trouvé. La dorure est apparue en France et en Italie au XIVe s et s’est surtout développée dans les pays latins. C’est peu pratiqué dans le reste du monde. Je fais beaucoup de titrages russes, il n’y a pas de savoir faire là-bas. En Asie c’est totalement inconnu. Tout ce qui est dorure à la machine, ça oui. Les imprimeurs s’équipent de machines pour faire... des étiquettes de vin ou de foie gras avec une couronne dorée, ou marquer St Émilion en doré. C’est aussi de la dorure, c’est industriel.

L’atelier de dorure où on travaille en manuel, c’est différent...

 Voyez, comme c’est un passeport irakien, je le marque sur le plat arrière, sur la 4e de couverture et non pas sur la 1e de couverture comme chez nous. Il ne faut pas que ça bouge. Si votre passeport, vous le tenez 5mn dans la main et que ça bouge… 

Vous pouvez rester. J’attends l’ancien consul de France au Japon. C’est un monsieur âgé, il fait de la reliure pour son plaisir. Quand il a un ouvrage à titrer, il me l’apporte.

 

 

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