Ce site est consacré à des descriptions de travail. Le travail avec lequel on gagne sa vie, ou une autre forme de travail, parce qu’on n’a pas forcément de travail rémunéré – on l’a perdu, on a choisi de ne pas en avoir, on fait autrement...

Les descriptions sont nées de deux façons: soit leurs auteurs ont entendu parler du projet et m’ont envoyé un texte, soit je me suis rendue moi-même auprès d’eux pour solliciter leur contribution.

Je laisse parler la personne aussi longtemps qu’elle le souhaite. J’essaie de me taire. J’enregistre. Je transcris ensuite ses propos. Je lui remets le texte écrit et nous en discutons jusqu’à trouver la forme sous laquelle il apparaît sur ce site.

Ma position n’est pas celle d’un sociologue ou d’un journaliste: je n’étudie pas, je ne cherche pas la chose intéressante, je ne synthétise pas – j’écoute et je transcris en restant au plus près des propos tenus.

Christine Lapostolle

J’écris depuis longtemps. Des livres qui se situent entre témoignage et fiction – des rêveries qui prolongent le spectacle de la vie. Le spectacle vu de l’intérieur, forcément. Le spectacle dans lequel nous sommes tous bon an, mal an, impliqués.

Dans l’école d’art où j’enseigne, je m’occupe du matériau langage, j’incite les autres à écrire, à faire attention aux mots... Les écoles d’art sont des lieux où l’on peut prendre le temps de la rencontre, des lieux où l’on ne se lasse pas de chercher comment transmettre, comment regarder, comment se parler, comment faire...

Ce site est un troisième pan de ce que je cherche avec l’écriture; ici l’expression de ceux qui participent et la mienne se rejoignent, je prête ma plume à des gens qui à travers leur parole mettent à disposition leur expérience.

Le blog que j’ai tenu sous forme d’almanach tout au long de l’année 2008 est consultable ici.

J’ai aussi travaillé en duo avec Karine Lebrun à l’élaboration du site 13 mots dont l’initiative et la forme lui reviennent.

Remerciements et contact

Je remercie tous les auteurs de descriptions ainsi que ceux qui ont contribué à la réalisation de ce site et ceux qui le fréquentent.

Le design de ce site a été réalisé par Gwenaël Fradin, Alice Jauneau et David Vallance en hiver 2018.

Si vous souhaitez, vous pouvez me contacter ici ou vous inscrire à la newsletter pour être averti de la sortie de nouvelles descriptions.

Tri par:
Date
Métier
Rebecca, directrice des ressources humaines 15.09.2022
On est ici dans une entreprise de logement social – chez un bailleur social qui fait partie des plus gros bailleurs sociaux en Île-de-France – …
Liza et Michel, kiosquiers 04.02.2022
On ouvre à 9h. Dans d'autres kiosques c'est 6h du matin, ça dépend des quartiers. C'est nous qui décidons des horaires. Il y a des kiosques où …
Pascal, doreur 28.08.2021
Un métier de doreur c’est assez varié. À l’origine c’était uniquement doreur sur livres: titrage, décor des reliures. Et puis on en est venu, au …
Pascale, marathonienne 12.07.2021
Je suis enseignante dans le primaire. Je fais de la formation auprès des enseignants. Je me déplace dans les écoles. Comme j’ai un peu …
Violaine, épicière, équicière 01.02.2021
C’est une épicerie familiale qui était tenue par Angèle jusqu’à ses 85 ans. Ses parents l’avaient tenue avant elle. Quand elle est décédée, ses …
Éric, garagiste 22.12.2020
Le garage a ouvert en mars 2018. J’ai réussi à me salarier en août. Les gens réparent eux-mêmes leur véhicule et je les accompagne. Ce n’est pas …
Éric, artiste 04.05.2020
Je suis artiste et enseignant. Enseignant dans une école d’architecture. Artiste plasticien. Mon temps de travail, si on ne parle que de …
Yoann, futur ex-directeur culturel 14.04.2020
J’ai commencé à travailler pour cette structure il y a 17 ans. J’étais assez jeune, j’avais 23 ans. J’avais collaboré auparavant avec un …
Philippe, rentier homme de ménage 10.02.2020
J’exerce une curieuse profession, dont je serais bien incapable de donner le nom. Elle a un côté chic, puisque je suis propriétaire de trois …
F., Masseur bien-être 22.10.2019
Le nom du métier c’est «masseur bien-être». Il s’agit de massages à visée non thérapeutique. Le terme de thérapeutique est réservé aux …
Zéti, au marché et aux fourneaux 02.03.2019
Je travaille en tant que commerçante. Petite revendeuse pour commencer. Dans le coin. Je vends des bijoux. Des perles significatives, parce que …
Line, libraire 06.01.2019
Être libraire, c’est avoir un dos solide pour transporter les colis, tous les matins, avoir un bon cutter pour les ouvrir, les ouvrir avec …
Thomas, marin pêcheur 04.04.2016
Mon parcours. Je suis juriste de formation. Je viens d’une famille de marins. Mon père, mes grands-parents, mes arrières-grands-parents, ça …
P.L., président d’université 02.09.2015
Comment on devient président d’une université? Dès que tu entres à l’université comme enseignant-chercheur, tu consacres une partie de ton temps …
Js, maçon par intermittence 14.12.2014
Je me pose beaucoup de questions sur le monde du travail , sur ce que j’y cherche, ce que j’y trouve, sur ce qui me donnerait un peu de joie. Ça …
D., directrice d’école d’art 03.06.2014
Je n’ai pas toujours été directrice d’école d’art. Il y a des directeurs qui ont été prof. Artistes, de moins en moins, il doit en rester un ou …
Barbara, scénariste 08.02.2014
J’écris des films et des séries pour la télévision . Au fond, j’entre dans la maison des gens pour leur raconter une histoire. Pour moi, dans …
P., médecin spécialisée VIH 11.11.2013
Le métier de médecin, c’est quelque chose que j’ai toujours voulu faire. Même si j’ai autrefois pensé à faire de l’ethnologie – c’était plus …
Julie, hôtesse de l’air 02.08.2013
Mon premier vol. C’était en décembre, il y a presque douze ans. Je travaillais pour la compagnie Star Airlines . Nous étions une centaine de …
Arthur, vie extérieure 17.06.2013
Je ne dirais pas travail. Pas occupation. Je dirais que je n’ai pas d’occupation. Mais beaucoup de... de préoccupations. C’est avant …
Michel, psychanalyste 21.02.2013
Préambule. Longtemps, j’ai eu quelques difficultés pour répondre à la sempiternelle question: – Vous êtes psychanalyste, quel métier …
Annie, chercheur(e) 16.09.2012
Chercheur(e) – Je n’arrive pas encore à habituer mon œil à ce (e). Bien que, dans mon métier et dans ma vie, je revendique ce qu’il signifie: …
Benoit, pianiste 26.05.2011
Ça va faire dix ans cet été. Je vivais au Havre. J’étais marié, j’avais deux enfants, ils avaient sept et dix ans et on a acheté une maison ici, …
Françoise, houspilleuse locale 17.02.2011
Depuis que je ne travaille plus au journal , évidemment mes journées sont moins structurées qu’auparavant. Apparemment. Ce qu’il y a de …
Jean, maire 21.11.2010
Au quotidien, dans une petite commune comme la nôtre,  on a la chance d’avoir  un secrétariat de mairie ouvert six jours sur …
Mathilde, institutrice 19.08.2010
Travailler avec des petits Depuis quelques années, je fais classe toujours au même niveau: à des CE1, qui ont 7 ans. C’est un âge que j’aime …
M et L, facteurs 20.03.2010
Devenir facteur J’ai donné la parole à deux facteurs de mon village qui ont souhaité participer ensemble à la conversation. M. est toujours en …
Jean-Yves, éleveur de chèvres 06.02.2010
Les chèvres , je vais les voir plusieurs fois par jour, je suis obligé. Parce que des fois elles se sauvent malgré la clôture. J’ai 22 chèvres …
Marylou, auxiliaire de vie 17.12.2009
C’est très  difficile à raconter . Je fais des gardes de nuit à domicile. Je dors chez les personnes. Ce sont des personnes qui ne peuvent …
Sylvie, chanteuse russe 24.08.2009
J’aimais beaucoup les  contes russes  quand j’étais petite, mais comme il n’y avait pas de russe à l’école, je n’ai pas eu l’occasion …
Marijka, cinéaste 14.05.2009
Mon travail consiste à imaginer des histoires et à les réaliser en images et en sons. Il y a plusieurs temps très différents dans ma vie …
Jean, professeur de philosophie 30.01.2009
J’enseigne dans un lycée, à Montpellier. J’ai 43 ans et 14 années d’enseignement. Travail Il s’agit de  donner des instruments de travail …
L’activité de kinésithérapeute 20.08.2008
Le centre est un établissement privé, de 80 lits dits «de suites et de rééducation». Il fonctionne avec un prix de journée assez bas par rapport …
Les tourments d’une lycéenne 07.07.2008
De la difficulté de s’orienter… des couloirs du lycée au couloir de la faculté. Paris, premier septembre 2006: C’est la rentrée des classes, …
Martine, muséographe 17.03.2008
Mon métier c’est  exposer . Une histoire, une collection, un morceau de territoire, un thème, même. Je m’occupe des contenus d’une …
Éric, potier 15.01.2008
(Nous habitons le même village, nous nous voyons presque tous les jours. Nous nous sommes servis d’un magnétophone…) C’est un travail qui …
Je travaille dans une chaîne de cafés 03.10.2007
Recherche de la définition d’une «non-situation» (pour qu’elle en devienne une) d’une étudiante en philosophie, étrangère, qui travaille dans …
Christine, prof d’histoire de l’Art 20.06.2007
Tentative de description de la situation de professeur d’histoire de l’art dans une école des Beaux-Arts J’enseigne dans une école des …
Un quotidien 13.03.2007
J’ai deux métiers!! Par chance(?), je travaille à la maison. Le matin, après avoir conduit mon époux au travail, j’allume mon ordinateur …
Virginie, graphiste 02.11.2006
Je suis  graphiste – je fais aussi de la direction artistique. J’ai 39 ans. Je vis à Paris. Je travaille depuis 1991, soit 15 ans.  …
Masquer l’extrait
Imprimer
Liza et Michel, kiosquiers04.02.2022

On ouvre à 9h. Dans d'autres kiosques c'est 6h du matin, ça dépend des quartiers. C'est nous qui décidons des horaires. Il y a des kiosques où il y a de l'activité dès 6 heures. Ici il y a du passage mais les gens qui partent au travail le matin très tôt ne prennent plus le journal. Ce sont les vieux du quartier qui viennent, ils sortent plus tard.

On arrive, on ouvre le kiosque, on nettoie les pipis et les cacas des clochards. Devant le kiosque la nuit, ça devient une pissotière, c'est horrible. L'autre fois j'ai piqué une crise, j'ai hurlé: «je ne suis pas là pour nettoyer ta merde ...» Tout ce qui est méchant est sorti... J'ai même pu hurler sur les gens: «allez, donnez leur à manger, ils salissent partout, vous vous en foutez...» Presque tous les matins ça commence comme ça. C'est dur.

Bonjour monsieur. 2€40. Voilà.

Dans la rue là-bas, on était obligé de traverser tellement ça puait.

La livraison, les colis, on déballe, on installe l'étalage. Il faut surveiller les bordereaux, il y a beaucoup d’erreurs. L'autre fois il manquait quarante Officiels. Alors on appelle le distributeur, on déclare, on attend qu'il crédite – des fois ce n'est pas crédité. C’est eux qui vous imposent la marchandise. Pour certains produits, on aurait besoin qu'ils augmentent les quantités, on les appelle, on les appelle, il ne se passe rien. Et d'autres produits invendables, comme Johnny, là – vingt euros un livre sur Johnny, personne n’en veut – eh bien ils vont vous en mettre une tonne: juste pour augmenter vos factures. Vous avancez l’argent. C'est un crédit/débit : vos livraisons sont toujours supérieures à ce que vous retournez. La vente compense le débit. Mais quand on ne veut pas un magazine, le distributeur nous dit que c'est l'éditeur qui l'impose.

Avec MLP, quand vous avez besoin d'un produit, en 48h, 72h, et vous l'avez en réassort. Mais avec Prestalis, qui est devenu France Messagerie... Des fois vous êtes gêné devant le client. France Messagerie : on commande... on attend, on attend. On ne vous indique pas de délai, sur l'ordinateur c'est marqué «attente éditeur», et débrouillez-vous avec ça. Il y a un troisième fournisseur, le Parisien.

– Bonjour. Trois cafés? Comme d’habitude? Sucre?

Ça c’est des mecs du chantier à côté. Les cafés, avant on n’en faisait pas. Les nouveaux kiosques, ils ont un frigo pour les boissons et une machine à café.

Avant j’étais dans la restauration et mon mari était dans l’automobile. Mais je me suis fait avoir donc je voulais un métier sans associé. On avait un ami kiosquier, je l’avais remplacé quelquefois pour rendre service. Et je trouvais ça sympathique, pas compliqué. Les horaires sont fatigants, certes, il y a des moments difficiles. Mais il y a des rencontres agréables.

Ah bonjour monsieur. J’ai été au musée de la Légion d’Honneur hier avec mon fils, il a adoré.

– Vous avez pas pu visiter les appartements?

– Malheureusement c’était fermé. Mais mon fils a adoré tout ce qui était médailles. On va faire le musée de la Marine la prochaine fois.

– Et je vous recommande aussi les Gobelins. Ils ont reconstitué les appartements de Napoléon...

Voyez, ça c’est agréable ce genre d’échange. Ce monsieur, je crois qu’il était enseignant, il me donne toujours des conseils pour mon fils.

Pour démarrer le métier il faut avoir une trésorerie. Ça ne sera pas la même suivant le kiosque qu’on vous propose. Vous déposez une demande à la mairie qui a délégué ça à Mediakiosque, une boîte privée. Vous attendez. Tous les six mois il y a de la rotation, on est libres de changer. Quand vous démarrez vous faites trois fois six mois dans différents kiosques avant de vous installer. A chaque changement vous avez trois propositions dans différents quartiers. Vous passez six mois dans le premier. Puis vous choisissez une autre proposition. Et au quatrième changement il vous faut choisir le bon parce que vous allez être titulaire.

Le Jdd d’hier? il est là.

Quand vous êtes titulaire en principe vous restez. Ceux qui sont dans le métier depuis quinze ou seize ans ont droit aux endroits où on fait beaucoup de chiffre. Il y a de gros écarts. Et vous attendez longtemps pour avoir un truc bien....

Ils nous avaient proposé un kiosque à Denfert, on n’a pas pris: il y a un banc de clochards. Un autre, pas loin d'ici mais c'est un petit modèle, c'est comme un cercueil. Rester douze heures là dedans... Celui-ci c'est un grand. Et il va être changé. C'est le modèle des années 80. Il est très pratique. Il aurait juste besoin d’un rafraîchissement.

Pour le nettoyage extérieur, on appelle le service technique. En ce moment il y a du laisser aller. Comme ils mettent en place les nouveaux modèles, ils ne s'occupent plus des anciens. Le plexi est dégueulasse, il est tagué, rayé. On ne nous envoie plus les affiches des magazines pour mettre dans les vitrines. Dans les nouveaux modèles il n'y a plus d'affiche de journaux, il n'y a que des publicités pour des grandes marques, c’est ça qui paye. Et nous, ça fait vide: c'est un ancien modèle, il faudrait des affiches partout.

Quand on l'a pris, c'était une catastrophe, il était triste, cet endroit, mal achalandé, celui qui le tenait n'allumait pas les lumières, c'était sombre, sale. On l'a fait revivre. Mon mari a fait un site internet. Grâce au site, on a eu beaucoup d'appels. Surtout pendant le confinement: les gens cherchaient un kiosque ouvert. On a eu plein de nouveaux clients. Qui venaient parfois de l'autre bout de Paris. La prison de la Santé nous a contactés. Leur kiosque avait fermé, ils passaient leurs commandes ici, c'était intéressant.

Au premier confinement on a très bien travaillé. Au deuxième, les autres ont réouvert et c’est redevenu normal.

Ça fait trois ans qu'on est là. Le matin c'est les habitués, ils demandent toujours les mêmes choses. C'est l'après-midi qu'il commence à y avoir des gens de passage qui vont acheter autre chose.

Ce n'est pas désagréable. C'est juste de temps en temps, ces saletés.

La saleté, les incivilités, l'agressivité.

Les clients sont plutôt contents. Sur la page google vous pouvez voir, les commentaires...

Changer d’endroit ne nous ferait pas peur. On relancerait l'affaire ailleurs. On sait fidéliser le client. Les vieux ils ont besoin de leurs journaux; les jeunes? il y en a quelques uns qui viennent parce que l'université les envoie pour qu’ils lisent des journaux. On les laisse feuilleter, on les guide.

Il y a beaucoup de choses qui repartent aux invendus, beaucoup de manutention inutile.

On est ouvert de 9h à 20h. Le lundi matin c'est léger, le mardi aussi. Les mercredi, jeudi, vendredi il y a beaucoup de livraisons. Lundi c'est uniquement programmes télé et journaux.

Vous sentez ce qui se vend, vous savez quoi mettre en avant. Sur la table devant on étale des choses qui sont plus chères, pour donner envie. Les gens ne connaissent pas tous les magazines. En regardant ils disent, tiens, je vais essayer. Il y en a qui sont à 19€, à 20...

Si c'est ensoleillé, on va étaler. Aujourd’hui on a mis une petite table parce qu'on sait qu'il va pleuvoir. On varie. On n’a pas que les journaux et les magazines, il y a les encyclopédies, les mouchoirs, les chewing-gums. Le tricot, c'est ma cousine. Elle fait ça à domicile, les gens aiment bien. C'est une décoration pour une chambre, un salon. Elle écrit ce qu'on veut: «love», «bonheur»...

Normalement on n'a pas le droit: il faut vendre des choses «de Paris». Mais pour un objet par ci, par là... En été on a mis des chapeaux par exemple. Même si ce n'est pas écrit «Paris» ça passe, ils ne sont pas toujours derrière nous. Ils ont besoin de nous. Ce n'est pas n'importe qui qui peut vivre dans un kiosque du matin au soir.

J'ai une collègue pour la St Valentin elle a installé des fleurs, ils l'ont embêtée. Alors qu'il n’y avait aucun fleuriste à côté! Les magazines, depuis cinq ou six ans, tu les trouves à Monoprix, à Franprix. Est-ce que moi je vais vendre des légumes...? Nous on nous enferme dans une limite. Pourtant il y a plein d'objets qui pourraient se vendre. Je mets des jouets quelquefois. J'ai même plié des livres en forme de sapins pour faire un peu de chiffre à Noël. C'était joli. Ça s'est bien vendu.

Les revenus ne sont pas réguliers. En moyenne on fait dans les 600€. Pendant le confinement ça dépassait les 1000. Les magazines pour enfants se sont très bien vendus. Un magazine pour enfants c'est minimum 5€.

C'est malheureux à dire mais les femmes n’achètent pas la culture, la recherche. Elles achètent Closer, Horoscope, Match, Gala. Je trouve ça dommage. Les hommes vont aller vers l'histoire, la science. Plutôt des magazines bien épais, bien casse-tête, ça c’est l'homme qui achète.

Les clients qui m'ont acheté une fois un sujet précis, chaque fois qu'il y a quelque chose, je leur mets de côté. Les gens aiment quand on pense à eux. Souvent ils me suggèrent des choses pour mon fils qui a sept ans... Comme tout à l’heure, vous avez vu. J'ai des maîtresses d'école qui me donnent des lectures pour le cultiver encore plus... C'est intéressant.

Ce que je reçois, souvent je le feuillette et je le garde en mémoire. Quelqu'un qui cherche sur un sujet, je vais trouver...

Il y a entre huit cents et mille deux cents titres. Mais dans les nouveaux kiosques, c'est moins, il n'y a pas la place.

Je peux faire venir quelque chose qu'on ne reçoit pas habituellement. Par exemple, on ne reçoit pas les livres: le livre de Zemmour, il a été beaucoup demandé, on ne l'avait pas. On est allé le chercher. On n'a rien gagné dessus mais ça fait plaisir aux clients. Ils ne vont pas aller l'acheter ailleurs...

– Bonjour

– Alors qu'est-ce qu'il vous fallait ? L'Equipe ? Il est là-bas.

Les gens sont plutôt aimables. Mais il y a parfois des disputes. Á propos de politique. Mon mari, souvent avec les clients trop peace and love, trop «gauche», il s'emporte. Alors je le pince, je luis dis, c'est bon, laisse tomber, ça ne sert à rien...

Souvent on sait à la tête du client s'il va prendre Le Figaro ou Libération. L'Humanité c'est un peu vieillot... il n'y a pas de jeunesse qui lit l'Humanité. Figaro ils sont élégants, chics, Le Monde aussi. Libé c'est coloré, c'est les bobos. Parfois on se trompe: elle arrive et mon mari lui dit: – Vous c'est Figaro. – Oh sûrement pas! Libé. Et là il dit: – Quelle déception, une élégante dame comme vous.

Quand il fait ça je dis, n’insiste pas. Mais il y a des clients qui aiment discuter: – dites moi pourquoi vous êtes de droite, je vous dirai pourquoi je suis de gauche...

Il peut y avoir des moments sans personne; parfois je me suis endormie. Les weekends, le mercredi, quand il faut beau c’est calme, ils sont dans les parcs. Quand il y a une brocante c’est mauvais pour nous: ils sont occupés. Quand il pleut beaucoup c’est calme. Quand il fait froid par contre, ils sortent chercher leurs journaux.

Quand il y a de gros événements on travaille bien. Après, ça peut être juste un article. Dans Society, l’article sur de Ligonnès, ah là là, tous les 30/40 ans …, c’était juste pendant la période des vacances... il leur fallait ce magazine. On en a fait du réassort. Alors qu’en temps normal Society on en reçoit trois, on en rend trois. Mais là, des piles et des piles qui partaient.

Les programmes télé, tout ce qui est télé Z, à 55 centimes tout ça je cache: ils arrivent, en période de confinement, tout le monde parle du virus et ils arrivent avec leur argent, tout en pièces jaunes, plein de sueur dans la main. Alors là je dis: je ne reçois plus le Télé Z. Les gens, je leur explique: il n’y a pas assez de vente, on ne le reçoit plus. Je les guide vers le kiosquier qui est là-bas.

Le plus cher c’est 20€. Ah non il y a 32. BTP, oh là là, je déteste ce magazine. C’est pour le bâtiment, la vente de machines, les tracteurs. Personne ici ne vient chercher un magazine pour acheter un tracteur. On le reçoit depuis trois ans. Je le retourne aussitôt. A la main j’écris: «je retourne». Il le créditent quand même. Je le renvoie en marquant «arrêtez le service», c’est pareil. Ça et Le Rail...

– Bonjour.

– Voilà pour vous. Bonne journée.

Cette dame-là elle vient le lundi, elle sent le pipi, on lui donne le supplément du JDD. Et quand il me reste un Closer, on lui donne. Elle est contente. Après, pour nos habitués, je mets la pile des suppléments qui restent. Les suppléments Figaro par exemple, quand c’est un homme je donne politique, quand c’est une femme je donne la mode.

On a créé une amitié avec certains clients. On a assisté à des enterrements, on a aidé des gens. Des vieilles femmes, qui demandent à mon mari de leur monter un meuble. Une cliente, on ne la voit plus. On espère qu’elle va revenir... Elle avait ramené une tirelire pour mon fils en cadeau, on a ça en souvenir, c’est touchant. Certains, on sait leur nom, il y en a à qui on livre le journal pour qu’elles n’aient pas à marcher.

ll y a les choses à mettre de côté. Par exemple, les encyclopédies, ou les B.D. du Monde: dès qu’un client achète, je dis, si vous voulez suivre la série... je vous le mets de côté, je vous appelle. Et comme ça je fidélise le client. Il n’ira pas l’acheter ailleurs. Il faut communiquer. Il y a des kiosques où ils sont là, pendus à leur téléphone, ils encaissent et c'est tout.

On s'amuse. Les vieux je leur dis: Salut la jeunesse, ils disent: salut la vieille! Ils me ramènent des cadeaux, des fleurs, une tranche de foie de veau une fois, parce que j'avais dit que j’aimais le foie de veau!

Le déjeuner, je prends dans le quartier pour faire travailler les petits restaurants. Ou je cuisine à la maison et on réchauffe ici au micro-onde.

Mon fils, il adore. Il commence à comprendre un peu l’argent. Il veut travailler, il veut vendre. Quand il me réclame des jouets, je lui dis, je n’ai pas d’argent, il faut que tu vendes ceux que tu as. Donc il a sa petite entreprise, il met ses jouets le dimanche! Il est content d’être là.

La fauche, non. Les voleurs c’est les Roms, les Arabes, ils prennent les téléphones et l’argent, ils ne prennent pas de magazines, la culture ne les intéresse pas. Une fois une dame, ça fait mal au cœur, elle était perturbée. Elle prend Paris Match elle le cache carrément devant moi. Je dis, Madame, vous croyez que je ne vous vois pas? Elle a dit, Oh excusez-moi et puis elle a payé.

Quelqu'un passe régulièrement pour les cartes postales, on lui paie ce qu’on a vendu. Les cartes de Paris on les a rangées pour qu’elles ne s’abiment pas pendant qu’il n’y a plus de touristes.

Le soir il faut à peu près 30 à 40 minutes pour ranger. Ça se rempile, les tables se plient. Tout rentre. Ça casse les reins...

– Bonjour Monsieur, ça va? Non ce n’est pas celui-là. C’est celui ci.

J’adore ce monsieur. Il a le parfum que mon père mettait. J’aime quand il vient. Il est élégant, magnifique. Lui c’est le Figaro.

Quand Charlie a sorti sa caricature d’Erdogan, le matin, mon mari me dit, oh là là! on risque d’avoir des problèmes aujourd’hui. J’étais en train d’installer, il y a un jeune, un Arabe, qui arrive. Pas du tout la tête d’un lecteur. Un joint à la main, pas de masque, il dit: vous avez Charlie Hebdo? Là j’ai pris une grosse revue que j’avais sous la main, je me suis dit, si c’est un connard qui sort un couteau, je cogne. Mon mari lui donne le Charlie. Il le regarde et puis il le jette sur la table et il s’en va. Mon mari me dit, écoute, il faut vraiment qu’on fasse attention aujourd’hui. J’ai dit, qu’il aille se faire voir, merde, on est en France, ils écrivent ce qu’ils veulent. Et là, même pas une minute après, il revient. J’ai attrapé ma grosse revue. J’attendais. Il dit: «Tonton vous trouvez ça normal ce qu’ils écrivent dans Charlie?» Mon mari, je m’attendais à qu’il lui en mette une. Il a gardé son calme. Il a dit: «écoute, nous on vient du Liban, on a quitté le Liban parce que ça ne nous plaisait pas. On est venu en France parce qu’on voulait venir en France. On est dans un pays où c’est leur liberté d’écrire, leur liberté de se promener nus. Ils font ce qu’ils veulent. Si ça ne nous correspond pas, on repart. Toi tu es d’où? – Tunisie. – Eh bien si ce pays ne correspond pas à tes règles, il faut que tu retournes en Tunisie.» Il dit: «Oui, mais Tonton, ils méritent d’être tués.» Mon mari dit: «Non, ici on est dans un pays de démocratie. Nous on est chrétiens. Charlie Hebdo il a dessiné des horreurs sur le Christ avec une carotte dans le cul, on n’a pas été tuer pour ça. Ici on fait des procès, on discute.» Il a dit: «Excuse moi tonton, excusez-moi madame», et il est parti.

– Bonjour vous allez bien?

– Très bien et vous?

– Ça fait longtemps! Du coca?, Du zéro, je crois que j'en ai.

On a une barre de fer, là. Je l’ai utilisée une fois. Une femme, une Roumaine qui vient, elle gueule, «toi la pute tu vas voir, on va venir te casser la gueule.» J’ai ouvert la porte, j’ai dit: «tu viens avec dix mecs: pas un seul: dix. J’ai tapé, je l’ai attrapée à la gorge. Les gens, ils sont choqués de voir ça quand ils ne comprennent pas la situation.

Quand les magazines sont intéressants et que je n’ai pas le temps de les lire, je découpe des pages avant de les retourner. Ils vont aller à la destruction donc autant que je découpe les choses qui m’intéressent, je reprends les échantillons de parfums, je les distribue, il y a des dames, elles sont heureuses, je leur donne les parfums, les crèmes. Pour les gamins, il y a des petits jouets...

Et puis je retire les bulletins d’abonnement. Vous êtes là dans votre kiosque et ils vont s’abonner à moitié prix? Paris Match, Elle... en plus ils offrent un sac à main si vous vous abonnez pour 60 euros! Et moi je fais quoi? Je vais rester dans le froid à attendre? Non, j’enlève! C’est ma lutte. Comme une petite fourmi devant une grande roue! Ça fait du bien. Des clients s'en rendent compte, ils disent, ça coûte moins cher de m’abonner mais je ne veux pas que vous disparaissiez. Pendant les fêtes on leur offre des chocolats, des choses comme ça. Ça fait plaisir!



Réagir à la description Remonter en haut de page