Depuis que je ne travaille plus au journal, évidemment mes journées sont moins structurées qu’auparavant. Apparemment. Ce qu’il y a de prioritaire, ce sont nos petits-enfants. On est disponibles à nos petits-enfants quand ils ont besoin de nous. Autrement, eh bien, c’est la vie de tous les jours qui m’intéresse, dans la ville. Je vais faire mes courses, quand je rencontre des crottes de chien, je les ramasse, histoire que ce soit propre autour, je nettoie. Quand il y a quelque chose qui ne va pas, je vais à la mairie le dire, l’écrire dans le cahier. C’est vrai que mon travail au journal m’a ouvert des portes pour aller voir les administrations. Je sais qui fait quoi. Donc c’est plus facile pour moi.
J’écris de toute façon. J’écris tous les jours ce que je fais. L’écriture est restée quelque chose d’important pour moi. Et quand ça ne va pas, j’écris au préfet ou ailleurs. J’écris à la mairie, j’écris aux gens. J’écris pour soutenir le peintre-verrier qui dépose le bilan, j’écris quand je ne suis pas d’accord avec quelque chose que je vois ou que je lis, j’écris au ministre, j’écris. Ça veut dire que je prends du temps pour ça. À la longue, j’ai acquis une sorte d’insouciance qui fait que je fonce. J’ai plein de combats en route.
Je trouve important qu’autour de nous on respecte – est-ce que c’est la démocratie? Le vivre ensemble? La beauté des choses? Je trouve que c’est à un petit niveau, autour de soi qu’on protège les choses. Et qu’ainsi on a une influence sur le plus grand… sur le pays tout entier. Quand quelque chose ne va pas, quand j’ai assisté à quelque chose qui m’a horrifié, je le dis.
C’est vrai qu’à la mairie ils ont l’habitude de me voir. Ils doivent trouver ça extrêmement dur. J’ai beaucoup réfléchi. Je pense qu’il y aurait besoin à la mairie d’un accueil. Pas pour moi, mais pour tous les gens – comment savoir si tu n’es pas content si tu ne le dis pas? Donc que les gens aient un lieu pour dire, voilà, il y a quelque chose qui ne va pas… Souvent pour remettre les choses d’aplomb, il suffit de le – c’est pas très compliqué de mettre un banc pour s’asseoir.
La mairie était un lieu pour parler. Mais depuis que tout le monde est devant son écran d’ordinateur… On peut dire que les gens ont de moins en moins de disponibilité pour le contact direct. Les gens sont préoccupés par leur écran, par ce qu’ils ont à faire sur leur ordinateur. Et ils ne sont plus du tout là. Quitter leur ordinateur, interrompre ce qu’ils sont en train de faire, leur demande un effort énorme… C’est compliqué. À chaque fois, c’est comme une intrusion. Alors qu’en fait, s’il y avait quelqu’un à la mairie qui accueillait, qui écrivait toutes les remarques, tout ce qui est dit, qui au besoin allait voir sur place le problème… cette personne préparerait le travail pour les adjoints, pour ceux qui sont spécialisés dans telle ou telle question. Et puis les gens n’hésiteraient pas. Vu qu’ils auraient toujours un accueil, ils n’hésiteraient pas à venir. Alors que là, ce n’est pas qu’on se fait jeter, mais on doit insister, ce n’est pas prévu. La coordination n’est pas au point. Il faudrait une coordinatrice, ou un coordinateur, quelqu’un qui reçoive les doléances – comme dans un cahier de doléances. Les cahiers de doléances, c’était une idée tout à fait géniale. On en a fait un au moment de la Révolution à la Maison Commune. Les gens sont venus écrire. Avec les ordinateurs qui ont pris la place, et toujours ces rétrécissements de budget, il n’y a plus personne pour écouter. Peut-être est-ce le travail des adjoints quand ils prennent leur permanence. Mais ils sont tellement occupés que c’est difficile d’avoir un rendez-vous. Le maire travaille en partie, il n’est pas disponible. Tous les gens qui ici font de la politique sont des gens qui ont un travail. Donc ils ne sont pas disponibles. C’est difficile. Une petite commune c’est déjà énorme, sur tous les plans.
Non, la plupart du temps je ne vais pas aux conseils municipaux. Je n’y vais plus. On n’a pas le droit de parler. On n’a le droit que d’écouter. À chaque fois qu’on a lancé une idée, comme la protection de la rue des Courtils, je crois que ça n’a jamais été débattu en conseil municipal. Je ne suis peut-être pas la seule à faire ça. Maintenant quand les gens repèrent quelque chose, ils viennent me le dire.
J’ai été choquée par le nouveau chemin d’interprétation archéologique de M.D. C’est une abomination. C’était un endroit magnifique. Avec des plantes qui se cachaient dans les racines des ajoncs, des orchidées, toutes sortes de petites fleurs qui étaient protégées du vent par ce tapis végétal dense. Et ils ont fait appel à un architecte-paysagiste, à un scénographe. Ils sont venus avec des pelles mécaniques, ils ont raclé tout pour mettre je ne sais pas quoi, des espèces de peupliers – en plein vent en plus, avec des copeaux de bois à la base, ils ont semé de la pelouse par endroits. N’importe quoi. Ça, plus des espèces de pupitres métalliques avec des panneaux pour expliquer la mer, l’archéologie et compagnie. Avec des granits, des morceaux monstrueux, qui ressemblent à de gros parpaings… C’est du parpaing de granit scié, qui vient d’Espagne ou de je ne sais où. Qui est dangereux. Parce que c’est coupant, parce que ça accroche. Et tu as ça devant un magnifique paysage de mer. C’est-à-dire que tu marches, et toutes les dix minutes tu as de quoi t’asseoir pour faire un pique-nique à une table. L’endroit magnifique, maintenant, tu dirais une aire d’autoroute. Non je n’ai pas réagi tout de suite. Je suis allée début novembre, il n’y avait rien. Après j’étais occupée avec mes petits-enfants, avec je ne sais quoi. Je ne suis pas toujours fourrée là-bas. Il faisait mauvais temps. Tout le mois de novembre, il a plu. Je n’y suis pas allée. Au mois de décembre, je ne sais plus ce qu’on a fait… Et là, j’ai écrit une lettre avec photos à l’appui. D’abord j’ai commencé par téléphoner à la Région, au Conseil général, à la Préfecture, à l’archéologue, à l’architecte des bâtiments de France. À la mairie de la commune concernée, ils faisaient partie du comité de pilotage, ils se sont laissé abuser par un projet – je ne sais pas comment. La personne de la Région m’a dit: «Écrivez une lettre.» Donc j’ai écrit, avec photos. Et j’ai envoyé une photocopie de la lettre à tous les services: la Préfecture, même le président de la Communauté de communes… J’ai dû envoyer sept ou huit photocopies avec photos. Je suis allé présenter ça à l’association qui s’occupe du patrimoine de la commune. Avec le soutien de l’association d’ici. Je leur en avais parlé. Maintenant, je me suis un peu retirée mais ça suit son cours.
Par contre pour la ¨rue des Courtils*, j’avais fait une action il y a deux ans et le préfet avait retiré le permis. Et puis il a donné un accord tacite. Alors de nouveau j’écris. Et là il faut que je finisse ma lettre au préfet. C’est compliqué parce que j’ai tous les arguments, mais ça n’engage pas que moi. On est nombreux. Les gens me donnent les idées, discutent. Et puis je reprends toutes les idées. C’est ça qui fait qu’on a des arguments. Moi toute seule je n’y arriverais pas.
J’ai toujours réagi. Soit par une association: avant je m’occupais d’associations: on a toujours réagi: pour les boat people, pour le nucléaire… Ce que j’ai découvert en arrivant ici, c’est que les gens étaient très près du monde. Comme si la proximité de la mer – ou le bout – c’est vraiment la tête de la terre ici: Pen-ar-Bed – ils étaient au courant. Alors que nous, on venait d’une région où tout le monde était indifférent: tu crèves à côté, personne ne bouge. Ici ce n’est pas le cas. Ici, j’ai trouvé des gens attentifs. Pas que. Mais beaucoup. Une bonne proportion des gens ici sont des gens éveillés, réveillés. Je le crois.
Par moment, quand je suis en plein boum, ça m’occupe beaucoup. Autrement? Et bien je fais du piano. Tous les jours. Je travaille le piano, tout le temps – tout est imbriqué. Et puis je chante. Donc ça, la musique, c’est quand même un truc de base, je dirais, c’est ma respiration. Autrement, tu vois, j’ai le cerveau un peu vide…
Et puis il y a ma maison. Qui est une vieille maison. Il faut s’occuper d’elle. Comme j’accueille du monde, je fais les lits – il y a souvent des gens chez moi. Il y a beaucoup de passage. Je suis obligée de préparer tout. Et puis je m’occupe de mes enfants quand ils viennent. Là, on va faire des travaux. Cela fait 31 ans qu’on est là. Mon mari fait tout. C’est la première fois qu’on fait intervenir des artisans. Pour faire le pignon.
Nos enfants nous font bouger. Il faut qu’on aille garder nos petits-enfants là où ils sont. Aux États unis pendant cinq semaines, en Argentine pendant cinq semaines. Deux fois en Argentine, deux fois aux États-Unis. Et puis on a une amie russe. On a reçu beaucoup de gens pendant longtemps, sans voyager nous-mêmes. Maintenant nos enfants sont devenus indépendants. Et donc, tous les amis qu’on avait reçus chez nous nous invitent: on est allés au Japon, où ma fille travaillait. On est allés en Turquie. On essaie de faire des voyages un peu tous les ans. Avec des moyens limités. Mais on réussit toujours à trouver une occasion. On part hors vacances, on a des petits prix…
Les voyages nous occupent. Je fais beaucoup de photos. Je trie et je marque tout. Comme des reportages, quoi. Dans des cahiers, sur des feuilles volantes que je peux glisser dans des classeurs. Ce que j’aime c’est illustrer les photos en racontant à côté ce qui se passe. J’ai un carnet dans lequel j’écris tous les jours. Et après, quand je regarde les photos, j’ai des points de repère. Ça, ça me prend pas mal de temps.
Et puis je travaille beaucoup sur des thèmes historiques. J’ai travaillé sur l’église de notre village, sur la vie du village. Et donc j’ai des dossiers, que je remets en forme, parce que tout le temps où j’ai travaillé au journal, j’ai pris des notes, j’ai plein de petites notes. Et maintenant, je trie. Donc mon occupation permanente, celle qui m’attend en permanence, c’est le rangement de mon bureau.
Oui, je suis une historienne locale. Je ne dis pas que j’ai la vérité. Mais que je travaille la question, oui. C’est un ami du village, il est mort maintenant, qui a été mon père dans ce domaine. C’est lui qui m’a vraiment donné le goût de l’histoire locale. J’ai fait de l’Histoire dans mes études. Avec un historien passionnant qui s’appelait Vigier, à Tours. Et qui m’a vraiment donné le goût et le sens de l’Histoire. C’était un type vraiment génial. Après, j’ai fait de l’histoire de l’art. Et puis de l’esthétique.
Pour l’instant je collecte. De temps en temps j’organise des petits bouts. Là, je fais une recherche sur Saint-Jacques-de-Compostelle – pour essayer de faire restaurer la statue de saint Jacques qui est dans l’église. Je pense qu’elle est du même sculpteur que la pietà: la cathèdre sur laquelle il est assis, c’est la même cathèdre; ce sont des bois creusés: un gros tronc d’arbre évidé – c’est magnifique. Et c’était repeint régulièrement, ça les a conservés. Les dernières peintures sont du XIXe siècle. Des ors et des couleurs qui ne vont pas du tout avec le style de saint Jacques. Des spécialistes sont venus, des restaurateurs. Ils ont dit que c’était la statue qu’il fallait réparer en premier. Je monte un dossier. La conservatrice du mobilier classé du département, que je connais bien, va me donner des pistes pour reparticiper au concours du Pèlerin magazine. Je peux recommencer parce que ça fait plus de dix ans qu’on a eu le prix pour la restauration du vitrail. Je travaille pour la commune: les sculptures de l’église, c’est du matériel communal. Ça fait trois ans que je travaille là-dessus. J’ai de nombreuses pistes sur le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle. Notre village était un point de départ: remonter la rivière – il y avait la petite chapelle Saint Jean, qui est à l’entrée de la rivière. Les gens faisaient une sorte de cabotage. Ou ils marchaient à pied. Mais souvent ils retrouvaient par bateau un point de départ. Quand ils partaient, ils partaient en laissant tout: c’était un événement incroyable, ils ne savaient pas s’ils allaient revenir. En route ils faisaient tous les petits sanctuaires qui se présentaient, proches les uns des autres. Ils prenaient le temps qu’il fallait pour faire les choses. Et quand ils revenaient de Saint-Jacques, ils remerciaient Dieu de sa protection. Et en général, quand ils remerciaient Dieu et qu’ils avaient les moyens, ils faisaient construire un édifice. Je pense que l’église de notre village a été édifiée à la suite d’un pèlerinage. C’est ce que j’essaie de prouver pour le moment.
Le présent, le passé, c’est lié. Je vivais avant dans une province artistiquement très près de Paris. Ou de la cour des rois de France, qui était soit à Blois, soit à Versailles. L’Histoire de France collait exactement avec l’histoire de la région. Ici c’est différent, l’Histoire de France ne commence qu’au XVIe siècle. D’ailleurs, l’école architecturale qui porte le nom de notre village pose question. Personne n’arrive à savoir exactement de quoi il retourne, de quand les choses datent. On ne sait pas. Les problèmes qu’on trouve à l’échelon national, on les retrouve ici. Si on regarde son petit coin à soi, ça ressemble exactement à ce qui se passe en grand. C’est comme avec les êtres humains, tu retrouves les mêmes défauts, les mêmes qualités – plus ou moins.
Je gueule trop pour avoir une chance d’être élue! Et je pense que c’est peut-être plus utile de gueuler à l’extérieur qu’à l’intérieur. En plus, quand j’étais au journal, j’étais toujours spectateur. Disons que j’étais au courant de beaucoup de choses: je suis restée dix-neuf ans, j’ai connu six maires au moins – et j’en oublie peut-être. Cela veut dire que je suis au courant des dossiers sans rupture. Alors que les gens qui arrivent, qui changent, ils ne sont pas au courant… De par le journal, je suis au courant de beaucoup de choses depuis le début. Ça aide.
Je n’ai plus un travail qui m’oblige à des horaires fixes, maintenant je choisis. C’est la différence. Je travaille autant que quand j’étais au journal, mais je travaille autrement. J’ai l’impression qu’avant, le temps était limité, puisqu’il était coupé par mon travail. J’arrivais à faire énormément de choses en très peu de temps, vu qu’il fallait toujours que je gagne du temps. Maintenant, je prends mon temps, je fais les choses autrement. Le temps a complètement changé, c’est agréable. C’est très étonnant. Je ne dis pas que j’ai plus de temps. Le temps est autrement. Je fais moins de choses en plus de temps. Je fais les choses autrement.
Je n’ai pas internet. Je pense que l’ordinateur a été une des raisons de mon arrêt de travailler. Parce que petit à petit tous les communiqués que j’envoyais au journal d’une façon personnalisée, avec le but de développer, de donner l’envie aux gens, c’est devenu des communiqués où tu appuies sur un bouton et que tu renvoies tous les jours. Je n’étais plus payée pour ces communiqués. Donc petit à petit, mon travail s’est vidé de sa substance. La machine fait le travail, mais mal. Je n’ai pas compris tout de suite. Moi, ils m’ont supprimé la moitié de ma paie – enfin de mon compte, puisque ce sont des comptes de collaboration – le mot n’est pas beau mais c’est comme ça: un compte de collaboration. En fonction de ce que j’avais fait, eux ils examinaient et disaient, «ça oui, ça non». Et là: la moitié: on m’a supprimé, à peu près la moitié. De 22 francs – c’étaient des francs à l’époque – on est passé à 2 francs pour le communiqué qu’on appuie sur un bouton. Le jour où on m’a dit «tu triches, tu te comptes des articles à 22 francs alors que ça vaut 2 francs», j’ai arrêté de travailler. J’ai arrêté du jour au lendemain. Ça m’a fait plaisir de travailler. Là, de ce côté-là, je ne suis pas blasée. J’ai toujours été contente de faire ce que j’ai fait, jusqu’au bout. Mais là… ça m’a permis d’être libre pour m’occuper de mes petits-enfants, de voyager, donc c’était très bien. Si j’avais continué au journal, je ne pouvais pas. Voilà. Tout bénef.
Pour le journal, j’ai travaillé pendant trois mois à l’ordinateur, j’ai cru devenir folle. Et pour ce résultat-là! En plus de ça – j’avais rendu l’ordinateur au journal: je n’avais pas le droit de m’en servir pour autre chose, je l’ai rendu. Un an après, je reçois un coup de téléphone: on me demandait de préciser mon fait-divers. J’ai dit, «des faits-divers, ça fait trois ans que je ne vous en ai pas envoyés! – ça fait un an que je ne travaille plus au journal!». On me répondait, «mais si, mais si, c’est votre nom qui est là». C’est-à-dire qu’ils avaient refilé mon ordinateur sans le modifier et que pendant un an il y a quelqu’un que je ne connais pas qui a écrit des conneries à ma place. Disons que je n’ai pas de regrets d’avoir quitté le journal. On ne traite pas bien les gens, les correspondants ne sont rien du tout, il n’y a que les lecteurs qui aiment les correspondants. J’ai même été étonnée car je me disais, si je n’ai plus le prétexte du journal, comme je n’ai jamais ménagé personne, qu’est-ce qui va se passer. Et en fait, non, les gens ont fait la part des choses. C’était mon travail. Et encore maintenant – ça fait 9 ans – il y a des gens qui me regrettent.
Pour l’instant j’écris dans l’urgence: quand il y a quelque chose qui ne va pas, pof, j’écris. J’ai voulu écrire. Comme je raconte des histoires, j’ai voulu écrire. Mais il faut que j’aie un rapport direct. J’ai écrit plein de trucs, mais c’est nul, mon souci de littérature ampoule ce que j’écris. Je me suis aperçue que ça ne marche que si j’écris comme si je parlais à quelqu’un. Ou quand je lis quelque chose que j’adore. J’adore lire. J’adore lire tout haut. Pendant cinq ans j’ai lu à la résidence de personnes âgées: je lisais aux gens. J’ai adoré ça: transmettre. J’ai écrit plein de choses, j’ai essayé, pour mon enfance, pour essayer de remettre les choses d’aplomb. C’est nul. On vit très vieux dans ma famille alors peut-être que je commence juste à vivre. Peut-être que je ne suis pas une précoce…
J’ai toujours la peinture et le dessin qui sont en moi. J’ai toujours eu ça. C’est pour ça que c’est difficile de choisir. C’est pour ça aussi que le journal c’était chouette. C’était chouette parce que ça utilisait ma diversité, mon espèce de butinage. Je ne pouvais pas me tenir longtemps à un truc. Je passe du coq à l’âne. Quand vraiment ça me plaît, je retiens. Je me réalimente. Par exemple pour les noms de fleurs. J’étais vaguement ornithologue, vaguement botaniste…
Je n’ai pas la nostalgie du passé, mais je suis extrêmement respectueuse de ce qui s’est passé avant. Parce que c’était fait d’une façon qui correspondait à une forme d’intelligence qui s’est perdue. Il y a des indications dans toutes les choses, dans les pierres, j’ai du respect pour le travail de la pierre, pour le travail du bois – ça me touche. C’est sûr que la matière me touche: la terre, les fleurs, les plantes. C’est pour ça que je pousse des gueulantes. Le désherbant, ça me rend malade. Voir ces champs oranges dans la nature, c’est la mort pour moi. À long terme, les choses changent. Il faut trente ans, je suis extrêmement patiente. On sent bien, c’est dans l’air, mais ça met trente ans. Orienter. Si tu sensibilises les gens, ils finissent par être d’accord. Parce que les gens maintenant, on voit bien, ils sont d’accord pour beaucoup de choses qu’ils n’avaient pas imaginées au départ. Même quand je vois ce qui se passe avec le chemin d’interprétation. On emploie des termes «chemin d’interprétation…» Interpréter quoi? Pourtant la mairie a donné tous les moyens à l’archéologue pour faire les choses bien. Ils avaient tous envie de bien faire au départ. Mais après! Ils ont fait intervenir… personne n’est venu voir… C’est curieux. C’est un peu comme dans le conte d’Andersen où le roi est nu. À la fin, le petit garçon… il faut que quelqu’un dise… Je ne me sens pas tenue par quelqu’un, par quelque chose, par le pouvoir, par l’argent… ça ne m’intéresse pas, je suis libre.
J’ai déjà appartenu à un groupe: le groupe antinucléaire – qui correspondait exactement à ce que je pensais. Ça a été une révélation en arrivant ici. J’avais déjà sauvé un pont. Sauvé un pont de la destruction dans le petit village où j’étais. Mon père aussi défendait des trucs, mon père était médecin… j’ai eu une éducation bourgeoise, si on veut. Mais un peu farfelue…