Le nom du métier c’est «masseur bien-être». Il s’agit de massages à visée non thérapeutique. Le terme de thérapeutique est réservé aux kinésithérapeutes qui ont un diplôme d’état reconnu, trois ans d’études. Nous, on n’a pas un diplôme d’état. Aujourd’hui il y a des formations, qui donnent des certifications, des formations à des types de massages, à l’anatomie et au corps humain. Ma profession fait partie des «autres services personnels non classés ailleurs». Avec les hypnotiseurs, les kinésiologues, les sophrologues: tout ce panel de médecines douces qui n’a pas encore la légitimité par rapport à la sécurité sociale. Mais c’est un domaine, le bien-être, qui depuis dix ou quinze ans, explose.
Le massage, à la base, c’est un vieux geste, qui existe depuis des milliers d’années. On voit des gens qui se massent pour se faire du bien sur les fresques antiques. Le mot vient du grec massein, qui veut dire pétrir. Dans les cultures asiatiques, dans les cultures africaines on se masse beaucoup. Nous, en occident on a perdu le secret du toucher entre nous, même au sein de la famille, de la société – aujourd’hui votre médecin ne vous touche plus beaucoup… Le toucher fait partie de l’intime, entre conjoints, avec vos amants ou des amis proches, que sais-je, mais pas avec des gens qu’on ne connaît pas. On est une société de tradition catholique où le toucher a été un peu mis de côté.
Pourquoi j’y suis venu? C’est un métier mais chez moi c’est une passion. Voire aussi une thérapie. Thérapie pour moi et pour les autres. Je suis issu d’une école de commerce. J’ai travaillé dans le marketing, dans la grande distribution pendant cinq ans. Je me rendais compte que je n’étais pas heureux dans ce métier. Je n’aimais pas ce que je faisais; cela n’avait pas de sens. J’avais fait ce choix parce que j’étais bon élève. Je ne savais pas ce que je voulais faire, et l’école de commerce était supposée ouvrir à plein de choses. Mais les matières de l’entreprise ne me plaisaient pas. Moi ce qui m’intéresse, c’est l’être humain, la rencontre humaine, faire un métier artistique. Je pense que le massage est un métier artistique. Pourquoi? Parce que c’est une prestation unique. Chaque massage est unique. Vous travaillez en musique, avec votre corps: il y a une partie liée à la danse. Pour pouvoir relaxer la personne, donner une énergie à votre massage. On est loin du massage kiné. On n’est pas dans le soin thérapeutique, où on va répondre à une demande de la personne: «j’ai mal là» – et on va masser une zone du corps. Nous, on masse l’ensemble du corps, même si parfois on nous demande d’insister sur tel ou tel endroit… On masse tout le corps, on masse dans une ambiance, on apporte une énergie.
Je n’ai pas de pratique de la danse en école. Mais quand j’étais petit j’aimais beaucoup danser devant mes parents, avec les copains, les copines… Et même encore aujourd’hui dans la vie, je sors beaucoup en boîte de nuit, j’aime danser, c’est une manière d’exprimer quelque chose de l’esprit et du corps. De séduire aussi, et d’entrer en communication avec quelqu’un. Je tiens à cette dimension dans mon massage, dans le respect du corps de l’autre. On est là pour faire du bien à l’autre.
Je fais du sport. Pour m’entretenir et pour pouvoir transmettre une bonne énergie. Je fais de la course à pied. Endurance, cardio, du yoga une fois par semaine, du yoga de relaxation, pour apprendre à être centré, bien respirer, soulager le corps. Et un peu de natation aussi pour soulager les tensions du dos. Parce que c’est un métier très physique.
Ce métier, je l’ai découvert à un moment où j’étais stressé dans mon travail, mon dernier travail en entreprise. C’est un cadeau que des amis m’ont fait. Ils m’ont payé un massage dans un spa. Cela faisait pas mal de temps que j’en parlais. Je ne m’étais jamais fait masser. J’ai vécu un moment très fort. Le masseur était un homme. Il m’a massé nu. Tout en me recouvrant par respect de la pudeur. Je me suis senti en confiance. À cette époque j’étais stressé, j’étais à la recherche de quelque chose… Je savais que j’avais en moi une conscience corporelle, que j’aimais toucher. J’aimais la beauté du corps, la sensualité. Mais je n’avais jamais encore vécu de choses semblables. Cela a été une expérience hyper charnelle. Cela restait du massage mais je pense que j’ai dû vivre, je ne sais pas, des choses un peu bouleversantes à la fois corporellement et mentalement. Et je me suis dit… c’est magique ce truc. C’est fou ce que cet homme m’a fait vivre en l’espace d’une heure sur une table de massage, dans le respect de chacun.
Je suis allé le voir, je lui ai dit: «c’était magnifique». Il m’a dit que j’avais une bonne énergie, que cela avait été pour lui aussi un très bon massage. Il était danseur. Il faisait du massage la moitié de la semaine. Et de la danse de cabaret. On a discuté. Pendant une heure j’avais été dans un autre monde, heureux. Les choses s’éclaircissaient dans ma tête, je me disais, je veux donner ça aux gens. Je cherchais, je crois, à sortir d’un milieu où je ne me voyais pas évoluer, où je n’avais pas assez de temps pour moi.
Découvrir une sensorialité en dehors du sexe, par quelqu’un que tu ne connais pas, c’était nouveau… Je lui ai posé des questions sur sa formation.
Est-ce qu’on pouvait travailler dans ce métier sans avoir trop de demandes embarrassantes, est-ce qu’on pouvait en vivre? Il m’a donné des adresses. Le soir même j’appelais mon copain de l’époque, et je lui ai dit, je démissionne, je vais devenir masseur. Sur les sites des écoles j’ai vu qu’en un an on pouvait se former. Je me suis formé à l’École des Spas et Instituts, à Paris. La directrice m’a dit, pour réussir, il faut être jeune, parler anglais, il faut bien présenter et il faut être une femme. Je cochais toutes les cases sauf la dernière.
Mais aujourd’hui il y a de plus en plus de demande pour les hommes. Plus ça avance, plus je deviens un masseur d’hommes. Que ce soit dans les hôtels ou à domicile, ma clientèle fidèle est surtout une clientèle d’hommes gays. Parce qu’il y a ce partage d’énergie, je pense. Moi-même, en tant que gay, je préfère me faire masser par un homme. Il y a moins de gêne qu’avec une femme. Les femmes n’ont pas le même corps, souvent elles n’osent pas masser vraiment. Moi aussi, quand je masse des femmes, j’ai une certaine retenue.
Aujourd’hui les gens me choisissent pour avoir un moment relaxant, sensoriel, un massage psycho-corporel. Mais quand même assez profond sur certains endroits du muscle. Je ne suis pas ce qu’on peut appeler un masseur fort, comme les masseurs thaï, ceux qui vont aller dans le tissu, chercher le nœud, etc. Ce n‘est pas mon style. J’ai un style enveloppant et profond à la fois. Plutôt lent. Ce que j’aime aussi c’est la mobilisation corporelle, l’espace, le stretching, masser le corps en 3D: on va venir encercler la personne des bras. Un massage sensitif, qui vient de l’école Ezalen. Quand on masse une jambe on tient toujours compte du fait qu’elle est reliée au reste du corps, on masse une globalité en fait.
Je suis très content de mon choix. C’est un métier où vous avez beaucoup de reconnaissance des gens. Ils vous disent merci, ils vous rappellent. Vous voyez aussi leur expression avant/après. Il y a un côté direct dans le travail. On vous appelle pour une prestation. Vous la faites, vous êtes payé. C’est très artisanal: comme le coiffeur, le boulanger.
Ce que j’aime c’est la diversité des rencontres. Chaque personne va ressentir le massage de manière différente. Elle va faire comprendre qu’elle aime certaines choses et pas d’autres. Vous ressentez son état du moment. Est-ce qu’elle est stressée? Est-ce qu’elle fait du sport? Est-ce qu’elle se fait masser parce qu’elle est en manque de contact? Il y a des gens qui prennent un masseur juste pour avoir un toucher bienveillant sur eux: cela fait longtemps qu’ils n’ont pas eu un toucher intime … Il faut pouvoir assumer cette partie-là, et donner. Sans passer à des choses sexuelles.
La parole reste mineure. Il y a une parole au début de l’acte de massage, pour savoir les attentes, la découverte, quelques minutes. Cela peut arriver aussi après le massage. Si les gens aiment partager leur ressenti. Ou quand on commence à revoir les gens. J’ai des clients, que j’ai massés une vingtaine de fois. On commence à se connaître. On se raconte un peu nos vies. C’est la partie vraiment intéressante. Vous rencontrez des gens que vous n’auriez pas rencontrés dans votre milieu.
Dans les cultures anglo-saxonnes on va chez le masseur comme on va chez le coiffeur. En France c'est encore un acte un peu de luxe, un moment pour soi. Le massage reste assez cher. Ce sont des gens qui ont de bons revenus qui se font masser régulièrement. Il y a aussi le côté cadeau – one shot. J’ai par exemple des étudiants qui s’en font offrir, c’est tendance… Mais les clients réguliers, qui vous font vivre, restent des gens qui ont un bon revenu, qui font attention à leur corps. De tous âges. Je dirai à partir de trente ans jusqu’à… quatre-vingts ans. Une fois j’ai massé une dame de quatre-vingt-seize ans dans un hôtel. Récemment j’ai massé un monsieur qui avait le cancer depuis huit ans, qui avait soixante-quinze ans. Vous avez de tout. Vous avez le couple qui veut se faire un petit cadeau, qui se dit, tiens, si on prenait un masseur. Parfois on est à deux masseurs chez un couple et on masse en même temps, dans la même pièce.
Cela fait un an et demi que je pratique, je travaille à mon compte. J’ai trois réseaux. Je ne masse pas chez moi. Je n’ai pas de cabinet, j’ai démarché des hôtels à Paris. Des hôtels de luxe, 4, 5 étoiles, qui ont des spas et qui ont parfois une demande qu’ils n’arrivent pas à combler avec leurs salariées à eux. Ou ils ont des demandes pour des masseurs homme et comme ils ne salarient pas d’hommes (parce qu’ils n’arrivent pas à remplir leurs agendas à plein temps) ils font appel à des freelances. Je travaille aussi avec une agence: une application internet, un peu comme Uber. Ils font toute la com, tout est payé en ligne, et nous, on est inscrits comme masseurs à domicile. On a nos photos, notre biographie, nos notes. Les gens peuvent réserver. Ils voient nos disponibilités dans un agenda électronique; nos rendez-vous tombent tout seuls sur nos téléphones. Je couvre Paris et la première couronne. Je vais chez les gens avec ma table, je me déplace avec tout mon matériel. J’essaie aussi de développer le créneau des clients privés: il n’y a pas l’hôtel qui vous prend des commissions, ni l’agence, c’est là où vous gagnez le mieux votre vie. Même si ce n’est pas un métier où on gagne énormément d’argent (j'en profite pour inviter ceux qui souhaiteraient un massage à me contacter en cliquant au bas de ce texte sur "réagir à la description"!).
Vous devez gérer votre force physique. Si vous pouvez ne faire que deux ou trois massages par jour plutôt que quatre ou cinq pour arriver au même salaire, c’est mieux. Et vous donnez plus aux gens. Avec six massages par jour, vous n’avez pas la même disponibilité corporelle. C’est pour cela aussi que je ne le fais pas en salarié. Les femmes salariées, elles sont crevées, elles font six massages par jour. Elles sont payées entre 1500 et 2000 euros net. Alors qu’à votre compte, quand vous travaillez bien, que vous travaillez sur six jours: vous travaillez le samedi après-midi, le dimanche après-midi, un ou deux soirs dans la semaine – les gens sont disponibles le weekend ou le soir, il faut adapter un peu sa vie – c’est un métier où vous pouvez vous faire net 3000 euros par mois. Je vis bien. Je fais environ soixante massages par mois. Je voudrais que les massages soient uniquement en journée; j’essaie de réduire mon nombre de massages le soir.
Mes tarifs aujourd’hui en clientèle privée c’est 70 euros une heure, 100 euros 1h 1/2. On incite les gens à prendre 1h 1/2 parce qu’on se déplace. Et un massage d’1h 1/2 c’est mieux pour faire tout le corps… Deux ou trois soins par jour à cent euros, même en enlevant les charges, vous vivez bien. Vous pouvez travailler vingt jours dans le mois, prendre une petite semaine… Parce que tu n’as pas de vacances. C’est toi qui organises tes temps libres.
Ce qui est bien c’est d’avoir une journée dans la semaine où vous ne massez pas. Ce peut être une journée où vous vous faites masser... J’adore me faire masser. Je fais des échanges avec des amis masseurs. Cela permet de soulager le dos, le corps, de se rechallenger, de découvrir d’autres approches: on s’inspire. C’est un peu comme aller voir un opéra ou un ballet si vous êtes danseur ou chorégraphe. Vous allez voir ce que font vos confrères...
Je me fais masser par des femmes aussi. Il y a untel qui va être plutôt reconnu pour sa puissance, un autre pour sa fluidité. Et c’est aussi des personnalités que vous rencontrez. On a envie de se faire masser par quelqu’un qu’on apprécie. Dans sa personnalité, son approche. Au bout d’un moment les gens vous choisissent. Ils veulent un moment avec vous. On ne se sent pas être un numéro comme dans une entreprise.
Au début, je pense que j’ai voulu faire ce métier parce que j’étais intrigué par la nudité, par le corps. Vous vous rendez-compte que vous êtes plus sensible à certaines textures, à des couleurs de peaux, à des formes de corps. Vous apprenez sur vous. Sachant que le but c’est d’essayer de donner la même qualité à tout le monde. On fait abstraction de ses préférences. Parfois j’ai massé des gens très beaux et je ne ressentais rien, je ne prenais pas de plaisir; j’ai massé des gens qui n’avaient pas un physique gracieux, mais il y avait une connexion… C’est assez mystérieux. Dans l’art, je suis friand de tout ce qui est nu. Dans ma vie intime j’aime le contact charnel. Cela fait partie du métier. Il faut pouvoir, par son ressenti, se concentrer sur le moment, prendre un plaisir sensoriel même avec un corps qui ne vous plaît pas. Juste parce qu’on va toucher de la peau, faire du bien à l’autre, c’est cela qui compte. Quand vous massez, c’est avec votre corps scénique – on est un artiste qui donne une prestation.
J’oublie le visage de la personne, mais je me rappelle toujours de son corps, je vais regarder chaque millimètre de son corps. Quand on parle, souvent l’expression du visage de l’autre vous impressionne. Alors que le corps on peut l’amadouer facilement. Le corps à corps c’est un langage simple, c’est pour cela que j’arrive à masser tout type de personne.
L’école nous a fourni une base. On a appris les techniques relaxantes, les techniques californiennes, englobantes, psycho corporelles, ce qu’on appelle le pétrissage, le drainage sanguin, les techniques de récupération musculaire. Un peu le deep tissu aussi: venir travailler les nœuds en profondeur. On a appris les massages du monde, par exemple l’ayurvédique qui vient de l’Inde, des choses très rapides, fluides, avec beaucoup d’huile. On a appris le massage balinais, qui se fait beaucoup avec les avant-bras. Ou l’hawaïen – qui représente la vague de Hawaï. Ce sont des inspirations qui vont vous permettre après, vous, de mélanger et créer votre propre massage.
Depuis que j’ai fini l’école, je suis deux à trois formations par an. La semaine prochaine je fais une formation au massage du visage japonais, le kobido. L’année dernière j’ai fait une formation de trois jours à un massage émotionnel: en plus des techniques englobantes et psycho corporelles, il y a des manœuvres comme le bercement: on va venir chercher la personne, la bercer, prendre ses mains, les mettre autour de nous. Quand on est en formation il y a une partie théorique, qui dure deux ou trois heures. Après ce n‘est que de la pratique. On vous donne un protocole. Vous apprenez manœuvre par manœuvre. À la fin vous faites le massage complet sur quelqu’un. On avance petit à petit. La première demi-journée on va ne faire qu’un bras et le dos, on va faire des échanges, se faire masser, ressentir. Et nous on va masser. C’est comme cela qu’on apprend.
On travaille le ventre aussi, c’est le deuxième cerveau, le centre des émotions, le plexus. Je ne parle pas d’énergétique où on ne touche pas la personne. Là on appuie, on sent les choses qui vous remontent. Il faut être prêt à vivre ce genre de choses, être réceptif et que le masseur ait une bonne main. J’ai vu des gens que je n’ai massés qu’une fois et qui ont pleuré sur la table. Pas à gros sanglots, c’était plutôt pleurer de soulagement, des larmes qui avaient besoin de sortir. On peut aussi rigoler. J’ai eu des fous-rires sur la table. Dans les hôtels, avec des collègues, on se regarde, on travaille à la chaîne, ça va vite, on a envie de rire. On est toujours concentrés, on est toujours à toucher les gens.
Quand je rentre chez moi le soir, je me sens chargé. Quand vous vous êtes fait masser, vous gardez la mémoire corporelle, vous ne prenez pas une douche aussitôt... Nous, quand on a massé pendant six heures forcément... ce n’est pas négatif mais il faut s’enlever quelque chose – le soir, si on veut dormir avec quelqu’un... D’ailleurs après un massage on se passe toujours les bras à l’eau froide. Pour enlever un peu de la présence, on se rince les bras.
Il faut quand même être assez jeune. Il faut être en bonne forme physique. Et il faut être passionné. C’est quelque chose que vous sentez en vous. C’est pour cela que c’est un peu l’art, et qu’on n’est pas du tout dans le kiné. J’ai discuté avec des kinés qui m’ont dit qu’ils n’aimaient pas masser. Au bout de dix minutes ils vont faire du stretching, ils vont envoyer la personne dans la piscine. Ce ne sont pas des masseurs.
Quand on masse, on ne pense à rien. Le toucher, on l’a depuis qu’on est petit, c’est le premier sens qu’on développe. Le toucher c’est rassurant, c’est concret. On invite le cerveau à se centrer sur la sensation. C’est hyper agréable dans la société d’aujourd’hui de vivre le moment présent, de couper. Moi je coupe le téléphone. Pendant une heure, je ne sais pas ce qui se passe. Je sais qu’il y aura un début et une fin.
Quand on débute, on regarde beaucoup l’heure. On apprend qu’il faut passer à peu près vingt minutes sur le dos. On apprend à ne pas déborder du temps, à trouver des automatismes. Aujourd'hui je regarde peut-être une fois le téléphone dans les cinq, six dernières minutes pour savoir: est-ce que je suis bon, est-ce que je peux en faire un peu plus, est-ce que j’ai débordé? C’est un rapport au temps luxueux. Pendant une heure on se fait du bien dans le silence. C’est précieux dans notre société. C’est un peu comme une méditation, une chanson pour se calmer. Moi j’ai un peu l’impression d’être, pas sous drogue, mais sous méditation permanente. En fin de journée quand j’ai massé trois ou quatre heures, je suis un peu déconnecté.
La musique. J’ai trois, quatre playlists. Une où il n’y a pas du tout de paroles, plutôt méditation; une autre où c’est vraiment ma musique à moi, douce mais avec des paroles; le jazz aussi.
J’aimerais ne jamais abandonner le massage. Mais j’aimerais par la suite pouvoir peut-être le faire à mi-temps, avoir une autre activité à côté, un peu moins physique. Peut-être quand j’aurai quarante ou cinquante ans j’aurai moins envie de masser. Il y a un peu de jeunisme dans ce métier. Mais il y a des masseurs de quarante-cinq, cinquante ans qui ont du succès. Quand on masse on apprend de manière infinie, comme une danse, on peut toujours danser un peu différemment. On s’autocritique. Pas pendant le massage, après. Cela m’est arrivé de me dire que j’avais raté, que je n’aurais pas dû masser à ce moment-là... Souvent c’est parce que vous êtes fatigué.
Quand j’ai des soucis, masser peut m’aider à les oublier. Parfois cela ne marche pas. Parfois il n’y a pas de connexion avec la personne; ou on est intimidé. C’est rare maintenant. Cela a pu m’arriver au début.
Je me rappelle la première fois que j’ai massé quelqu’un. À l’école, le premier jour de ma formation. Je n’avais jamais massé. Peut-être comme ça, deux minutes, rien du tout. C’était une nana, qui est devenue une copine. La première fois que je me suis mis en binôme avec elle, c’était du massage suédois. On commence par le bas du dos. Je crois que dans ma vie intime je n’avais jamais touché un corps de couleur, c’était la première fois que je posais les mains sur quelqu’un de couleur. Mine de rien, quand vous êtes sensible au corps, à l’apparence, ça vous fait quelque chose. C’était une femme. Et cela faisait longtemps que je n’avais pas touché une femme. C’était quelqu’un de très cambré. À l’opposé de moi. Mes mains n’étaient pas encore assouplies – avec l’expérience les mains s’assouplissent, vous savez quelle partie utiliser. Là c’est le coude parce que ça rentre bien, ou en bout de doigts, ou avec les avant-bras. Au début vous ne savez pas tout ça... Je tremblais. Et elle aussi. Elle a posé sa main en disant, arrête de trembler, tu ne vas pas me faire mal! Je n’osais pas mettre de pression. J’étais impressionné, plein de questions: est-ce que ça va me plaire? Qu’est-ce que je ressens?
L’homme qui m’a massé la première fois ne sait pas que je suis devenu masseur. Je voudrais aller le voir, reprendre un massage avec lui, savoir s’il se souvient de moi. Et le remercier. Je lui dois beaucoup. Si son massage n’avait pas été beau, s’il ne m’avait pas fait ressentir ce qu’il m’a fait ressentir, je n’aurais pas découvert ce métier.